30 / LE MONDE /VENDREDI 20 SEPTEMBRE 1996

 CULTURE

 Unglee a disparu, sans ses tulipes

Le cinéaste franco-américain était aussi l'un des grands maitres de la photographie botanique

L'auteur de Chérie, que veux-tu ? et de Forget me not était également connu pour ses photographies abstraites de tulipes et pour la passion anachronique qu'il vouait à cette liliacée qu'il avait remise au goût du jour en y consacrant presque toute sa vie. Victime d'une fumigation trop prolongée d'essence de tulipes bleues,il nous a quittés hier, dans sa maison de Fontainebleau où il vivait reclus depuis trois ans. Il avait quarante-cinq ans.

DISCRET,SECRET,
t
imide et réservé: ce sont les mots qui reviennent le plus souvent dans les évocations d'Unglee. "Des clichés de journalistes ", disait-il parfois en reconnaissant malgré tout qu'il y eût dans ces mots une part de vérité, mais il détestait les descriptions " sans nuances " comme les allusions à sa vie privée.

Pourtant en 1979, au faîte de sa renomée cinématographique, il ne put résister au désir de rendre publique sa passion la plus personnelle qu'il gardait secrète depuis son enfance, celle qu'il vouait aux tulipes.

L'année précédente, son film Chérie, que veux-tu? avait eu un immense succès au box-office et la chanson titre tint tout l'été la première place du hit-parade. Cette célébrité cinématographique nuisit beaucoup à la perception de Sophisticated Tulips, sa première exposition parisienne de photographie, qui rendit perplexe plus d'un critique. On en parla, certes, mais rarement en bien et plus d'une fois on lui reprocha ses aspects décoratif et répétitif . Lors d'une interview à l'époque Unglee avoua que le critique du Figaro, qui avait accepté de le recevoir, le sortit de son bureau en moins de deux minutes.


Unglee en 1980

Unglee pensa alors, naïvement, sans doute, qu'il ne supportait pas la vue des fleurs, même photographiées. En fait la critique, à la faveur de l'apparition d'une nouvelle génération, ne commença à prendre en compte la pertinence de son travail que lorsqu'il se mit à produire, dans un esprit conceptuel , des Déclarations sur sa passion botanique.

Après le quasi échec de cette première exposition Unglee réalisa Forget me not, une sorte d'autoportrait publicitaire pop. Sur l'écran on le découvrait farouche et sauvage, comme le sont tous ceux qui se veulent libre et se refusent à "; donner le change " en se prêtant à un quelconque jeu social. Et puis on était surpris, ému, par son charme singulier et sa voix profonde qui répétait inlassablement " Forget me not, Forget me not, Forget me not... ". Unglee refusa toujours de révéler à qui s'adressait ce pathétique message.

Tous ceux qui l'avaient rencontré après la sortie de ce film gardaient le souvenir d'un brun éblouissant, mince, séduisant et secret avec des yeux si noirs qu'on qu'on n'y distinguait pas la pupille, dans un visage impénétrable d'Italien silencieux. Il en restait un tableau, au mur de son salon, "peint par un ami " disait-il, et quelques photographies. Les années et l'abus revendiqué de gin avait alourdi non la silhouette mais le visage, mais demeuraient intacts le regard, la voix. Et le mystère. Quand Unglee, comme l'appelaient ses amis, est né, à Nice, le 1er décembre 1949, il ne s'appelait pas Unglee. Ses parents venaient de divorcer. Sa mère devait se remarier avec Fabio Angeli et, curieusement, faire porter ce nom à son fils, qui, plus tard, s'en inspirerait pour se fabriquer un nom.

PASSIONNÉ DE CINÉMA

De six à vingt-huit ans Unglee vécut à New York. Passionné de cinéma il quitta prématurément l'université pour devenir projectionniste dans un cinéma de la 42e rue.

Dans une récente interview dans Art Press il déclarait :

Paradoxalement Unglee n'aimait pas la campagne, préférant les vastes maisons avec jardin près des grandes villes qui le fascinaient. Là, il pouvait cultiver ses tulipes, et les photogaphier. Mais malgré tout il n'était pas un véritable sédentaire. Sa passion botanique le menait de par le monde, un jour en Turquie à la recherche de telle variété de tulipe sauvage, un autre près de Montpellier pour les mêmes raisons ou en Chine ou encore en Californie où il découvrit des tulipes aquatiques au large de l'île de Santa Catalania. Depuis trois ans il habitait près de Fontainebleau où il ne se consacrait qu'à Princesse Charmante, une variété de tulipes dont il était littéralement tombé amoureux.

Obsessionnel et exclusif, Unglee s'était imposé quelques règles de vie. Dans cette même interview il disait :

Le résultat ? Une dizaine de films dont Chérie, que veux-tu ?, Forget me not, Paris-Plage et Tulipes aquatiques, une trentaine d'expositions et une célébrité internationale.

Isabelle Brérart