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 Gilbert Fastenaekens
temps photographique / retards en papier

Galerie Blanche - Association La Première Rue
Résidence Le Corbusier, 54150 BRIEY-EN-FORET.

12 mars - 21 mai 2004

 

Commissaire : Joseph Abram
Directeur Artistique : Steven Vitale
Présidente de l'association La Première Rue : Vincente Ferry
Association La Première Rue / Courtesy Galerie Les Filles du Calvaire, Paris

Informations :

Melle Véronique LEONARD Tel/Fax: 03 82 20 28 55
Horaires d'ouverture : du Lundi au Jeudi de 9h00 à 12h30 et de 14h00 à 17h30, le vendredi de 9h00 à 12h00.
Pour le week end sur réservation uniquement.

 

 

Dans un article publié, il y a vingt ans, dans la revue Art-Press, Jean-François Chevrier disait de Gilbert Fastenaekens qu'il était "l'un des auteurs les plus assurés d'une nouvelle génération de photographes européens", capables de constituer méthodiquement leur oeuvre à partir de thèmes photographiques rigoureusement définis. Ces thèmes consistaient, pour Fastenaekens, en une approche nocturne des paysages industriels et urbains à travers une prise en compte inédite de l'espace public comme un décor abandonné par ses occupants. Etablissant un parallèle entre le Paris de nuit de Brassaï, peuplé de vies secrètes, mais animé, et les paysages déserts du jeune artiste belge, Chevrier dégageait les lignes de force d'un travail en profondeur porté par une puissante tendance à l'abstraction. Pour lui, les villes de Fastenaekens illustraient cette fonction de la photographie, qui n'est pas d'enregistrer le réel, mais de "capter des signes dans l'enchevêtrement des apparences", des signes quasi abstraits "émergeant de la nuit comme des messages indéchiffrés : un bosquet le long d'une route, une colline, une pyramide sur l'herbe au fond d'une cour, la torsade luisante d'une sculpture de pierre, une simple feuille de journal volant dans un feuillage...".

Vingt années après la parution de cet article, le travail de Gilbert Fastenaekens apparaît dans toute sa rigueur. Il s'est précisé et transformé, mais l'axe problématique, solidement ancré dans la discipline photographique, est resté le même. Les prises de vues nocturnes, qui permettaient à l'artiste d'accéder, selon ses propres dires, à la "topographie urbaine" envisagée comme la coquille vide "d'une gigantesque pièce de théâtre", ont cédé la place à des prises de vues diurnes. Le noir et blanc s'est éclipsé au profit de la couleur -une couleur particulière qui, à y regarder de plus près, n'est pas tout à fait la couleur. Les formats et les techniques de tirage ont changés. Mais Fastenaekens a poursuivi son chemin avec constance, traquant obstinément, à travers le matériau concret que lui offre la ville, l'indicible présence des choses. On connaît le refus de Godard de considérer le cinéma comme un "art du temps" pour le traiter comme un "art de l'espace". Dans ses films, sens et récits s'intègrent comme des matériaux bruts dans un espace plastique autonome. Suivant une direction inverse, mais avec une visée analogue, Fastenaekens semble rejeter le statut convenu de la photographie comme "art de l'espace" pour en revendiquer la condition temporelle primordiale. Mais la temporalité qu'il explore n'est pas celle, paradoxale, analysée par Barthes, où la présence manifeste se transforme inéluctablement en passé. Le temps qui l'intéresse est celui, inhérent à l'inscription de l'image elle-même, prise comme durée.

Dans ses premiers travaux, Fastenaekens étirait les temps de pose comme pour réduire l'écart entre la nuit interne à la camera obscura et la nuit externe, celle de la ville, devenue tout entière"photographique". Il laissait pénétrer dans la chambre noire la masse urbaine fluide, teintée de lumière raréfiée, tirant de leur torpeur nocturne des grands pans de décor architecturé. En laissant agir, presque seule, la fluidité de la nuit, il se plaçait en deçà des codes esthétiques, recueillant dans l'image objective la puissance d'un dispositif de transformation. Descendu désormais dans l'arène au grand jour, il poursuit les mêmes objets photographiques, mais en s'appuyant, cette fois, sur la texture de la ville elle-même, avec ses constructions disparates juxtaposées, qui s'imbriquent ou s'entrechoquent. Il confronte son regard aux surfaces solides des volumes ordinaires, ceux qui résistent de toutes leurs forces, tant à la vision perspective, qu'au maillage continu des tissus des quartiers. Ces surfaces têtues (pignons d'immeubles, façades compactes) capturées comme des blocs obliques ou frontaux, emplissent l'espace de l'image jusqu'au cadre, révélant ainsi leur muralité essentielle. Tirées en grand format (2,5m x 2m), (1,25m x 1m à Briey), selon un mode d'impression où la couleur semble imbiber le papier, et collées le plus souvent à même les parois des galeries où elles sont exposées, ces images reproduisent à leur manière le processus d'absorption photographique. A l'instar d'Ellsworth Kelly, qui, pour échapper à la composition, créait ses tableaux abstraits par simple transfert de motifs trouvés "tels quels" dans la ville (already made), Fastenaekens se sert de ces pans verticaux dans un but anti-compositionnel. Les murs qu'il nous donne à voir, avec leurs appareillages de briques, leurs bardages métalliques et leurs couleurs délavées, nous plongent au plus profond de la concrétude, tout en nous proposant une expérience conceptuelle du dispositif mécanique d'enregistrement de l'image. Si, comme l'a montré Rosalind Krauss, la photographie est devenue, au fil des années1970, le modèle de l'abstraction picturale, alors il n'est pas exagéré de dire que Fastenaekens, en réactualisant ce modèle originel dans la tradition de la Straight Photography, ne cesse d'en éprouver la validité, dans un redoublement inattendu des pratiques artistiques. On pourrait, en paraphrasant Duchamp, qualifier ses oeuvres, ce qui est un comble pour un photographe, de "retards en papier".

Joseph Abram