temps photographique / retards en papier Résidence Le Corbusier, 54150 BRIEY-EN-FORET. Commissaire : Joseph Abram Informations : Melle Véronique LEONARD Tel/Fax: 03 82 20
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Dans un article publié, il y a vingt ans, dans la revue Art-Press, Jean-François Chevrier disait de Gilbert Fastenaekens qu'il était "l'un des auteurs les plus assurés d'une nouvelle génération de photographes européens", capables de constituer méthodiquement leur oeuvre à partir de thèmes photographiques rigoureusement définis. Ces thèmes consistaient, pour Fastenaekens, en une approche nocturne des paysages industriels et urbains à travers une prise en compte inédite de l'espace public comme un décor abandonné par ses occupants. Etablissant un parallèle entre le Paris de nuit de Brassaï, peuplé de vies secrètes, mais animé, et les paysages déserts du jeune artiste belge, Chevrier dégageait les lignes de force d'un travail en profondeur porté par une puissante tendance à l'abstraction. Pour lui, les villes de Fastenaekens illustraient cette fonction de la photographie, qui n'est pas d'enregistrer le réel, mais de "capter des signes dans l'enchevêtrement des apparences", des signes quasi abstraits "émergeant de la nuit comme des messages indéchiffrés : un bosquet le long d'une route, une colline, une pyramide sur l'herbe au fond d'une cour, la torsade luisante d'une sculpture de pierre, une simple feuille de journal volant dans un feuillage...". Vingt années après la parution de cet
article, le travail de Gilbert Fastenaekens apparaît dans
toute sa rigueur. Il s'est précisé et transformé,
mais l'axe problématique, solidement ancré dans
la discipline photographique, est resté le même.
Les prises de vues nocturnes, qui permettaient à l'artiste
d'accéder, selon ses propres dires, à la "topographie
urbaine" envisagée comme la coquille vide "d'une
gigantesque pièce de théâtre", ont cédé
la place à des prises de vues diurnes. Le noir et blanc
s'est éclipsé au profit de la couleur -une couleur
particulière qui, à y regarder de plus près,
n'est pas tout à fait la couleur. Les formats et les techniques
de tirage ont changés. Mais Fastenaekens a poursuivi son
chemin avec constance, traquant obstinément, à
travers le matériau concret que lui offre la ville, l'indicible
présence des choses. On connaît le refus de Godard
de considérer le cinéma comme un "art du temps"
pour le traiter comme un "art de l'espace". Dans ses
films, sens et récits s'intègrent comme des matériaux
bruts dans un espace plastique autonome. Suivant une direction
inverse, mais avec une visée analogue, Fastenaekens semble
rejeter le statut convenu de la photographie comme "art
de l'espace" pour en revendiquer la condition temporelle
primordiale. Mais la temporalité qu'il explore n'est pas
celle, paradoxale, analysée par Barthes, où la
présence manifeste se transforme inéluctablement
en passé. Le temps qui l'intéresse est celui, inhérent
à l'inscription de l'image elle-même, prise comme
durée. Joseph Abram |