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Anguéliki GARIDIS

Visible-invisible


Comment notre être au monde a-t-il été bouleversé par les dispositifs technologiques ? A cette question, chacun des artistes du groupe a tenté de donner une réponse plastique, entre visible et invisible. Rendre visible l’invisible ou effacer l’immédiatement visible, trouver un lieu dans cet entre-deux, sans fascination ni rejet, trouver sa place dans un retour du corps qui intégrerait les dispositifs technologiques sans être anéanti par la machine. Entre illusion « angélique » et vision infernale des nouvelles technologies, chaque artiste essaie de donner une forme à ses idées, à ses craintes, à ses désirs.

Comment comprendre autrui, dans un monde où la technologie change notre rapport aux autres ? A travers le virtuel se nouent de nouveaux modes de relations : solitude absolue, masquée par la fuite dans une sociabilité virtuelle, ou démultiplication de la communication, qui allie réel et  virtuel, sentiments exacerbés et abstraction, relations concrètes et liaisons imaginaires dans un ensemble inextricablement mêlé. Visible et invisible s’entremêlent et s’inversent dans la subjectivité de chacun. Transsubstantiation généralisée où moi et l’autre s’échangent, tout comme s’imbriquent le dedans et le dehors, le réel et le virtuel.

Le virtuel nous absorbe et devient l’invisible qui sous-tend le monde visible, à moins que le monde réel, tangible, ne soit l’invisible qui ressurgit dans le visible technologique. Derrière l’homme écrasé par les « dispositifs » (Agamben) qui le transforment, ordinateur ou téléphone portable, demeure l’humain, fatigué, mais encore vivant et désirant, derrière les chiffres et les signes. Ce sont les deux facettes de cet univers technologique que Racan Paljic évoque dans son installation, « Business model 2007 » photographies prises en secret qui révèlent l’univers des nouvelles technologies dans le reflet hésitant d’un monde qui se cherche.







Comment appréhender l’espace, entre perception sensorielle et espace mental ? Espace réel et espace imaginaire s’entrelacent : vue, ouïe, toucher, les sens palpitent à l’unisson et s’allient aux perceptions virtuelles. Monde réel et monde imaginé se faufilent imperceptiblement l’un dans l’autre, la mémoire du sensible serpente à travers l’ubiquité virtuelle, y mêle un peu de son essence. Dans son installation « T’es où ? », Eugenia Demnievska cherche à retrouver le passé derrière la simultanéité, la dictature du temps réel qui domine notre univers cerné par les nouvelles technologies. Les sonneries des téléphones portables, sons oubliées qui font émerger une mémoire ancienne, éveillent le cycle des réminiscences, comme dans le film de Jia Zhang-Ke, Still Life, où les personnages se retrouvent et se perdent à travers des chants surannés, qui représentent leur vie passée, avant que le barrage n’engloutisse leur destin. Entremêlement des sens : œuvres à voir, à entendre, à imaginer. Parfums d’un temps révolu qui reviennent à travers les sons. Surgissement du réel, du tactile, à travers la mémoire électronique. Les vibrations sonores, entre passé et présent, entre réel et imaginaire, aident à retrouver la légèreté, derrière des dispositifs rigides où l’humain tend à s’effacer. Apprivoiser la technique pour se retrouver ?







Quelle pourrait être la texture d’un monde « télésurveillé » ? « Paysages urbains » fondus dans la nature, villes rêvées, cités métisses, mêlant à la « chair du monde » (Merleau-Ponty) leur nature végétale, dans l’installation de Tatiana Stolpovic. Villes éphémères, elles flottent dans une limite instable entre le virtuel et le réel. Porosité d’un monde où, derrière le virtuel, ressurgit le réel, avec la force de l’humour. Les caméras de surveillance, qui déshumanisent, réifient l’humain, sont adoucies, détournées par une distance espiègle : elles deviennent caméras végétales, intégrées à la ville imaginaire, qui allie la légèreté de sa structure aux paysages projetés sur sa surface. Les fibres absorbent la nature qui s’y inscrit, telle une peau lumineuse.







Les habitations organiques répondent au vol des avions dont l’ombre portée, à la forme étrangement dansante, transe de chamane, déesse aux bras tendus pour embrasser le ciel, vient rejoindre l’arbre dans une transsubstantiation écologique, dans l’installation de Nadezda Kojadinovic, « Vol ». Rendre à l’avion sa magie première : rêve d’envol tué par le rétrécissement d’un monde qu’il détruit de sa traîne blanchâtre, retrouvé dans la forme d’un arbre élancé vers le ciel. 







Visible et invisible de son propre corps qui se donne à voir dans le regard qui le reconstruit, entre dehors et dedans, entre objectivité et subjectivité. Pieter Sonnemans (« Le corps visible ») tente de montrer ce qui frémit sous la « peau des choses » (Michaux). Retour de la chair, du frémissement de la peau dont le pinceau essaie de transmettre la nature complexe. Après des œuvres pamphlets contre les nouvelles technologies qui assujettissent l’homme, revient, chez Sonnemans, la représentation du corps, morcelé mais encore vivant, blasons d’un corps entre visible et invisible, entre l’abstraction  monochrome – mais ne s’agit-il pas encore, là aussi, d’un écran ? –  et la présence de la chair.





Entrelacement de la nature et de la technologie, qui s’associe à la mise en commun, fluide ou en rupture, des œuvres et des idées. Dans une tentative d’effacement des limites, le réel palpite à travers la trame du virtuel dans un entrelacs permanent. L’homme-machine redevient chair et le sensible résiste à travers la machine même.