[ Palais des Beaux-Arts ]

 

Mark Wallinger

 

L'artiste anglais Mark Wallinger (Chigwell, Essex 1959) s'intéresse à la manière dont l'argent, la nationalité, la classe et la position sociales contribuent à définir l'identité individuelle. Ses peintures, ses vidéos et ses installations ont souvent pour motif des thèmes tout à fait britanniques. Sous l'ironie, voire même le burlesque, se cache une réflexion poussée sur l'actualité politique et sociale, y compris celle du monde de l'art.

C'est ainsi que Wallinger réalisa une série d'oeuvres sur le thème de la course hippique, un sport qui l'a passionné depuis l'enfance. Les portraits de chevaux de course hyperréalistes (Fathers and Sons, 1993 et Half -Brother, 1994/95) ou les vidéos réalisées lors de concours hippiques (Royal Ascot et Race Class Sex Il, tous deux 1994) dénoncent l'obsession typiquement britannique du (good) breeding. Le terme s'applique aussi bien à l'élevage d'animaux de race qu'à la bonne éducation des jeunes gens des classes supérieures et laisse transparaître la ferme conviction selon laquelle les qualités individuelles s'héritent plutôt qu'elles ne s'acquièrent. Une des interventions artistiques de Wallinger consistait d'ailleurs à acquérir un cheval de course, qui fut mis en dressage sous le nom de A Real Work of Art.

Mark Wallinger adopte une position extrêmement critique face au monde de l'art au sein duquel il est amené à fonctionner et se heurte à l'impossibilité d'occuper, en tant qu'artiste, une position réellement subversive tout élan radical est d'avance brisé et récupéré par l'establishment. Une installation vidéo comme The Importance 0f Being Earnest in Espéranto (1996), qui fera partie de l'exposition, nous rappelle que les utopies modernistes ont sombré sous le poids de leurs contradictions inhérentes. Cette pièce typiquement britannique est jouée, en espéranto, devant une centaine de sièges vides, tous différents.

En 1997, l'exposition de Mark Wal linger à la galerie Anthony Reynolds, à
Londres, a pour titre "God (An Exhibition about Vision)". La relation entre
perception et croyance y est explicitement évoquée : l'une des oeuvres s'intitule
Seeing is Believing.

Dans la vidéo Angel, un homme portant des lunettes noires et une canne
blanche remonte un escalator du métro londonien. Il répète la phrase de Saint
Jean : "In the Beginning was the Word and the Word was with God and the
Word was God". A certains signes on comprend que la vidéo a été montée en
commençant par la fin et que le texte enregistré a donc été prononcé à 'envers. Image moderne d'ascension, parabole de l'aveugle allant vers la lumière, citation de 'Evangéliste les références au christianisme sont claires. Faut-il y voir de la dérision ? Rien n'est moins sûr. Et Si Wallinger ne fait pas "acte de foi ", il prend la croyance au sérieux, sans renoncer à son goût pour l'ambiguïté et le questionnement des valeurs.

Cette réflexion sur la religion s'est poursuivie depuis dans plusieurs oeuvres, Une vidéo récente; On an Operating Table (1998), réutilise la citation de Saint Jean. Le texte, cette fois, est épelé, successivement, par des voix différentes, tandis que la caméra fixe une lampe d'opération en forme d'oeil. Seule la mise au point varie et l'on passe sans cesse du net au flou. Pour Wallinger, la question du dogme ne peut être séparée de celle de la multiplicité et de la différence.

Angel et On an Operating Table seront présentées, sous forme de vidéo-projections, dans l'exposition au Palais des Beaux-Arts.

L'affirmation de la relativité des valeurs et du point de vue de chaque civilisation se retrouve dans The Four Corners of the Earth (1998) des images de mappemonde sont projetées sur quatre toiles circulaires placées aux quatre coins de la salle. Elles nous présentent quatre "centres du monde" différents et créent une étonnante illusion d'optique, une impression de volume. Alors qu'en fait, cette terre est plate

Un catalogue trilingue (français - néerlandais - anglais) réalisé en coproduction avec Delfina Londres, accompagne l'exposition. Le jeudi 18 mars 1999 à 20h aura lieu une conférence par Jon Thompson sur le travail de Wallinger et l'art contemporain en Grande Bretagne.

 

UMWELT / UMFELD

Art et environnement : Cinq propositions

 

L'exposition Umwelt / Umfeld est le résultat d'une forme de collaboration toute particulière. A l'initiative de S.A.R. le Prince Laurent de Belgique, un groupe d'amateurs d'art et de responsables au sein des musées et institutions beiges d'art moderne et contemporain ont conçu un projet pour les Antichambres du Palais des Beaux-Arts de Bruxelles. Leurs concertations ont abouti à une exposition, accompagnée d'une publication, sur le thème de la relation entre l'art et l'environnement. Comme l'indique le titre, l'idée d'"environnement" s'entend ici au sens le plus large, ainsi que l'a défini le philosophe Thierry de Duve dans sa contribution au catalogue: "L'homme habite le monde, voilà une chose que Kant n'a jamais mise en doute. Ce monde comprend ses semblables, ce qu'ils y ont édifié, et la nature. En toute rigueur des termes : l'économie et l'écologie. La culture et l'agriculture ; la civilisation et ce qu'elle a préservé de nature sauvage ou brute le commerce des hommes et le commerce des choses ; et les montagnes sublimes, l'océan furieux, le règne animal et végétal. "

En tant que président de l'Institut royal pour la Gestion durable des Ressources naturelles et la Promotion des Technologies propres, le Prince Laurent s'est adressé aux artistes : le monde a besoin d'eux pour penser le rapport de l'homme à l'environnement et exalter les potentialités du futur. Et ce non pas par des démarches technocratiques et fragmentées, mais à partir d'un point de vue holistique. Jan Hoet, commissaire de l'exposition, l'exprime ainsi: "Chez les artistes, l'observation, la pensée et l'action se situent toujours dans un seul et même champ. Dans ce qu'ils nous proposent, leur observation réfléchie devient un acte réfléchi. Raison pour laquelle ils se positionnent comme exemples pour la société. Non pas comme modèles, mais comme exemples auxquels, nous, en tant qu'observateurs, nous confrontons une image propre et différente. Leur observation qualitative devient un acte qualitatif. Ils ont conscience qu'ils créent l'environnement tant par leur observation que par leur action. Et c'est cette conscience, et non pas seulement le produit artistique de celle-ci, qu'ils proposent à la société".

L'exposition se veut le point de départ d'un fonctionnement permanent, peut-être sous forme de collection. A l'issue de quelques réunions avec un comité d'accompagnement composé de Flor Bex, Jean-Jacques De Cloedt, Hubert Dethier, Nicole d'Huart, Jean-Marie Duvosquel, Jean-Paul Malingreau, Gisèle Ollinger, Rik Van Aerschot en Pascal Vrebos, cinq artistes ont été sélectionnés par Jan Hoet : Joseph Beuys, Panamarenko, le photographe et vidéaste Stan Douglas, l'artiste norvégien Bjarne Melgaard et Benoit Platéus, un jeune artiste belge.

Selon Joseph Beuys (1921-1986), tout homme est artiste : chacun peut, dans son travail et sa vie, par l'attention et l'intensité qu'il prête à ses actes, réaliser cette plus-value qualitative propre à l'art. Par ailleurs, Beuys était politiquement engagé pour l'environnement et plaidait continuellement pour une combinaison entre la pensée et l'action visionnaire. Dans l'exposition, il est présent par le biais de quelques objets, exposés dans des vitrines et se rapportant plus ou moins directement au projet intitulé Difesa della Natura . Celui-ci revêtait au départ le caractère d'une discussion sur la créativité humaine et s'est développé par la suite à travers différents projets : schémas de pensée, installations classiques, actions locales (telles que, par exemple, la plantation de 7.OOO espèces d'arbres et de plantes à Bolognano) pour aboutir enfin à ce que vous découvrez aujourd'hui une série de témoignages que l'on peut soumettre à l'avenir.

Les propositions artistiques de Panamarenko (1940) et Bjarne Melgaard (1967) peuvent toutes deux être comparées à celle de Beuys, ne serait-ce que par le fait que, dans leurs démarches, ils placent expressément le domaine de l'art dans une sphère plus large. Pour Panamarenko, dont est présentée la série des Archéoptéryx, l'art est avant tout lié à l'instinct de liberté. 1] nous révèle que l'environnement est essentiellement une donnée construite par l'homme. Il soumet la technologie à une image emphatique de la nature, sorte d'état originel "préhistorique" et nous présente l'homme en tant que constructeur fragile et incertain.

Bjarne Melgaard réactive des concepts qui le fascinent. Dans une installation conçue spécialement pour le Palais des Beaux-Arts, il crée un pitbull-lion-vache "dont chaque composante est culturellement déterminée et se trouve, via son association avec les autres éléments, pourvue d'une nouvelle énergie. Alors que la pensée de Beuys se dirige vers des solutions, et que Panamarenko se jette sur la réalité dans un rêve entêté, Melgaard prend la dimension impossible des possibilités culturelles comme terrain de manoeuvre.

Benoît Platéus (1972) photographie des espaces urbains, des intérieurs, des grottes autant d'espaces qui l'entourent mais qu'il ne maîtrise pas. Il accorde une attention particulière à la lumière, cette lumière dont l'intensité déconstruit l'image ; un flash puissant qui peut être provoqué par un rayon de soleil comme par une lampe éclair. Platéus est fasciné par l'observation en tant que processus expérimental, ce qui explique l'oscillation permanente entre l'observateur, l'environnement et les propositions formulées, toujours ouvertes. Les miroirs qu'il nous montre nous renvoient à la réalité.

L'oeuvre la plus récente du vidéaste canadien, Stan Douglas (1960), est constituée d'une série de clichés de paysages urbains désolés issus de la ville de Detroit. Pour Douglas, l'art est la représentation de sa pensée sur la condition humaine, qui est déterminée tant par les rapports sociaux que par les rapports entre l'homme et la nature. Ses vues de Detroit évoquent le dépeuplement épouvantable de son centre. A travers l'absence humaine, ces photos évoquent précisément l'homme, en tant que projet culturel permanent, toujours en échec, toujours en réussite relative.


Jan Vercruysse

Portraits de l'Artiste

 

De 1977 à 1984, Jan Vercruysse a réalisé plus d'une centaine d'oeuvres en noir et blanc à l'aide de procédés photographiques. Il ne s'agit pas ici de photographies à proprement parler mais de reproductions imprimées. Ces images ont été rassemblées une première fois en 1997 dans l'exposition Portretten von de Kunstenoor, présentée au Van Abbemuseum d'Eindhoven et accompagnée d'un livre portant le même titre. L'exposition présentée ce printemps au Palais des Beaux-Arts et conçue par l'artiste a pour objet ce même ensemble d'oeuvres, dans une sélection légèrement modifiée.

L'exposition comprend des oeuvres appartenant à différentes séries : L'Art de Voir; Les Choses de 1977-79, une série d'oeuvres composées de plusieurs images et intitulées Sons titre (Autoportraits), réalisées entre 1979 et 1981, et enfin une soixantaine d'oeuvres datant de 1981 -1984, avec entre autres la série des Lucrèce et les Portraits de l'Artiste par lui même.

Comme son titre l'indique, il s'agit dans cette exposition d'(auto)portraits, genre qui fait l'objet d'une riche et longue tradition dans l'histoire de l'art occidental. Vercruysse s'y réfère sans cesse, en représentant par exemple des objets caractéristiques des portraits-vanités des I 6e et 17e siècles (le miroir, le sablier, le métronome, l'horloge, l'échiquier, les masques...) ou des portraits célèbres d'artistes ou d'amateurs d'art. Il reprend aussi des thèmes (Lucrèce), des compositions (allusions à Carracci, de Chirico, Magritte) ou encore des poses (la Mélancholie...). Les maîtres anciens sont également présents grâce à de petites reproductions.

Vercruysse était à l'origine poète et sa méthode témoigne toujours d'un esprit poétique il ordonne ses oeuvres en séries, s'aidant de blancs comme on pourrait le faire lors de la composition d'un poème, fait appel à des procédés littéraires tels que la variation et la citation, tandis que le rythme, les titres et les éléments textuels tiennent un rôle important. Peut-être n'est-ce donc pas un hasard Si René Magritte, plasticien lui aussi passionné par les jeux du langage, est l'un des rares artistes modernes à être cités. La confection de livres a d'ailleurs toujours été un élément important de l'activité artistique de Vercruysse.
Les portraits de Vercruysse ne sont ni psychologiques ni expressifs bien que l'artiste ait à plusieurs reprises servi lui-même de modèle, son regard le plus souvent se dérobe, ou encore son visage est caché ou rendu "illisible". Même lorsque l'Artiste fait face au spectateur, nous ne sommes pas en présence d'un instantané nous dévoilant l'unique personnalité de Jan Vercruysse "lui-même" le miroir capte certes la lumière, mais ne nous la renvoie pas sous forme d'un portrait ressemblant, d'une identité, L'image n'a pas, ne peut (plus) avoir selon Vercruysse le moindre caractère naturel. Sa démarche artistique est délibérée et lucide, son oeuvre construite de manière méthodique.

Les portraits de l'Artiste n'ont de fait aucun rapport avec le culte traditionnel de l'individu : ce sont des images-énigmes. Leur "signification" ne réside pas dans le visage nu ou dévoilé, mais dans un ensemble complexe de références enveloppant l'Artiste. L'énigme ne trouvera cependant jamais de solution : l'image reste insaisissable, toujours ambiguë. Les innombrables symboles, références et métaphores offrent autant de points de repères qui se dérobent pourtant lorsqu'on les prend trop au pied de la lettre. Ces oeuvres sont comme des fragments, mettant en évidence l'impossibilité d'une interprétation univoque.

Jan Vercruysse a exposé une première fois au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles en 1988. Cette seconde grande exposition comprend, outre l'oeuvre "photographique", quelques pièces de la série Les Paroles et reprend Grande Suite, oeuvre de 1986. Le livre Portretten van de Kunstenaar (Portraits of the Artist) a été édité par Yves Gevaert et Ludion. A l'occasion de l'exposition à Bruxelles est publié un supplément avec la traduction française, par Alain Cueff du texte de Pier Luigi Tazzi.

[ Palais des Beaux-Arts ]