Jean-Marc Bustamante 
 
( Texte extrait du petit journal mis à la disposition
des visiteurs au Jeu de Paume ) 
 
  - Jean-Marc Bustamante est né à Toulouse en 1952. Il vit
  et travaille aujourd'hui à Paris. Après des études
  en sciences économiques à Toulouse de 1969 a 1972, il s'initie
  à la photographie avec Denis Brihat, en Provence (1973-1975).Il
  devient collaborateur au journal Connaissance des arts à Paris,
  puis,en 1975, assistant du photographe et réalisateur William Klein.
  En 1977, il réalise, dans le nord de l'Espagne, ses premiers Tableaux,
  qui forment en 1982 un corpus de 120 photographies en couleur de grand
  format, exposées en 1994 à la Kunsthalle de Berne. A ces
  paysages "sans qualités" de lieux indéterminés
  entre ville et nature succède, de 1983 à 1987, un ensemble
  d'oeuvres créées en collaboration avec Bernard Bazile sous
  le label BAZILE BUSTAMANTE. 
 
   
  Après cette période qu'il décrit comme un "apprentissage,
  ou le duo avait développé un art hybride et hétérogène
  jouant des images et des objets, Bustamante met en place dés 1987
  un nouveau travail de sculpture non figurative en bois ou en métal
  peint le plus souvent au minium, au titre générique de Paysages,
  suivi dés 1991 par les Sites, les Stationnaires puis les Origines
  (1992),les Ouvertures ou encore les Continents (1993); certaines de ces
  pièces ont achevé de réunir la sculpture aux photographies.
  Loin de constituer des séries, ces oeuvres paraissent "développer
  un monde et l'enrichir". Bustamante à également poursuivi
  son travail de photographe avec les Tableaux de cyprès (1991) et
  les Lumières (1987-1993), des photographies en noir et blanc sérigraphiées
  sur Plexiglas qui semblent tenir une place à part dans l'oeuvre,
  tandis que les sculptures récentes ont évolué vers
  une coexistence déformés à la fois géométriques
  et organiques (Arbres de Noël, 1994-1996). 
   
  Étranger au dogmatisme des avant-gardes, au souci d'innovation ou
  de démonstration, Jean-Marc Bustamante se préoccupe d'installer
  une présence, celle de l'oeuvre, sans romantisme ni tentation pour
  le sublime. Son oeuvre complexe,tendu, parfois rétif, demeure toujours
  attentif au spectateur qui s'y trouve invité sans injonction, doucement-le
  regard et le corps à la fois.ll peut passer vite,ou revenir,avec
  lenteur. 
  L'oeuvre de Bustamante a été montré tant en France
  qu'à l'etranger, notamment au Musée d'Art moderne de la Ville
  de Paris (ARC, 1990), aux Documenta VIII et IX de Kassel, au Museum Haus
  Lange de Krefeld et au Stedelijk Van Abbemuseum d'Eindhoven (1992). 
   
   
   
  Le titre choisi par Jean-Marc Bustamante pour cette exposition d'une trentaine
  de pièces datant de 1987 à 1996, dont une dizaine récentes
  voire nouvelles, reparties selon un accrochage ni générique
  ni chronologique- non pas donc une rétrospective, puisque les Tableaux
  de 1977 a 1982, ainsi que les Lumières de 1987 a 1993, en sont notamment
  absents-, constitue à lui seul une définition et un programme.
  Le sens en paraït tout d'abord indécis, irrésolu, non
  démonstratif. Le rapport des mots créé de plus une
  tension, de même qu'ils évoquent a la fois un temps ( "laisser
  venir" ) et un mouvement ( " revenir sur " ) . 
  Autant pourrait-on en dire de l'oeuvre. Le "lent retour" apparaït
  aussi comme celui de l'artiste sur son oeuvre et comme celui du spectateur
  effectuant un aller-retour (titre d'une pièce de 1990) a travers
  les oeuvres qui auront pu, dans un premier temps, I'impatienter.Le travail
  de Bustamante apparaît bien à l'image de ce titre: des photographies,
  des sculptures, des "installations" qui stationnent,en attente
  du visiteur, dans un retrait silencieux et une "présence pleine",
  à la fois proche et lointaine-ni trop près, ni trop loin.
  L'oeuvre n'affirme rien, il n'ordonne pas, on peut donc passer à
  cote ou bien s'y arrêter. 
   
  Il ne propose ni de nouvelles images ni de nouvelles formes, mais ouvre
  un monde ou les oeuvres sont là. Bustamante travaille sur la présence
  à l'oeuvre,I'oeuvre en tant que présence et la présence
  comme participation du spectateur à l'oeuvre.Le temps y est donc
  une donnée fondamentale: temps de la réalisation ( les photographies
  réalisées à la chambre 20 / 25,les sculptures ou demeurent
  les traces du passage de la ponceuse, voire de la main), temps de la réception
  par le spectateur. Le mouvement, absent de l'oeuvre, y réapparait
  à travers la tension plastique,toujours basée sur une dialectique.
  En effet, Bustamante aime l'ambiguïte, le paradoxe, et tente d'échapper
  à une logique convenue. Son souci des matériaux- métaux
  (acier, zinc. . . ), bois, béton, verre, tissu, caoutchouc...-n'a
  d'égal que celui de créer des contrastes forts et inattendus.Ainsi,
  les Tableaux de cyprès (1991), des Cibachromes au vert strident
  cernes d'un cadre en chêne, accompagnent Site II (1992), une sculpture
  au sol en métal peint en partie au minium (peinture antirouille).
  Les Ouvertures (1993-1996) marient, elles, la photographie des premiers
  tableaux de paysages à la sculpture: tables basses en bois massif
  ou l 'image se trouve non plus accrochée mais mise à plat-
  des "sculptures-tableaux".  
   
  Le principe binaire, sinon paradoxal, semble de fait régir l'oeuvre
  entier-au sein de chaque et / ou entre chaque pièce. Le fini industriel
  coexiste avec le non-fini manuel, le mou avec le dur (Paysage II, 1988,
  en caoutchouc et métal), le chaud avec le froid, le mat avec le
  brillant, la transparence avec l'opacité (Les Fleurs, 1987), la
  lourdeur ( Site II, 1992) avec la légèreté voire l'apesanteur,l'equilibre
  avec l'instabilité (Sans titre, 1993),les contours liquides avec
  les angles durs, les trous avec les découpes rectilignes, caractéristiques
  des Paysages, les perforations laissées vides avec les boulons ou
  les rivets, telles que 
  l'on peut les voir dans les pièces récentes (Sans titre,l996),et,enfin,les
  formes ouvertes (Paysage XX, 1990) avec celles qui se referment contre
  le mur (Paysage XV,1989 et Paysage XIX, 1990).Les couleurs, parfois inattendues,
  étranges, quelquefois violentes, de l'orange minium au jaune vif
  en passant par le bleu doux et le rose chair, semblent choisies non pas
  pour elles-mêmes mais pour leur rapport aux formes dont elles 
  paraissent fixer et délimiter les bords, francs ou irréguliers.
  Le blanc plus ou moins poncé par endroits des Arbres de Noël
  (1994-1996) - une version nouvelle de ceux, très colorés,
  montrés en 1994 à Paris-rend leur contour d'autant plus incertain,
  tremblé, que le minium affirme celui, anguleux, des Paysages. Ainsi
  naît une tension, une nervosité au sein même des pièces,
  et à travers leur confrontation dans I'espace. Un rythme se créé
  qui se tend puis se détend . . .Une autre particularité essentielle
  du travail de Bustamante est la mise en évidence de "la place
  de l'homme absent, la place du corps". Si, en effet, les Tableaux
  se caractérisent par l'absence de présence humaine, celle-ci
  n'en demeure pas moins, par défaut,toujours suggérée,
  voire signifiée. 
   
  Ainsi, Le Vêtement (1988) joue de la confrontation entre l'objet
  d'usage et la sculpture,en une évocation induite du corps: un habit
  de cour du XVIIe siècle pend, comme punaisé, sur un panneau
  d'acier peint au minium. De même,certaines oeuvres constituent de
  véritables réminiscences d'objets ayant rapport au corps.Le
  Grand Miroir (1991), long cadre rectangulaire vertical aux allures massives,
  dont les découpes irrégulières font saillie vers le
  spectateur, ne présente aucun reflet puisque, précisément,
  il n'enserre pas de miroir.Le corps qui apparait est constitué par
  l'image mentale que l'on y projette, le paysage intérieur qui se
  dessine à sa rencontre.Le triptyque récent (Sans titre,1995)
  qui encadre les Arbres de Noël, aux formes fluides et verticales en
  Plexiglas percluses de perforations dont certaines sont "rebouchées",
  aux couleurs aimables-blanc, rose et bleu-, évoque de même
  un corps aux contours incertains, Léger, presque gazeux. Le 
  Paysage au retour de 1993 invite enfin à se reposer tout en contemplant
  la nature environnante- en l'occurrence, le jardin des Tuileries. 
  Le travail de Bustamante requiert la participation visuelle et corporelle
  du spectateur, car c'est dans le corps lui-même que s'inscrit véritablement
  l'experience de l'oeuvre, en une sorte de continuum perceptif. L'oeil s'arrete
  sur l'étalage inégal du minium, les détails précisionnistes
  des Tableaux, le corps se confronte aux Sites, aux Paysages voire aux Tableaux
  eux-mêmes dont on remarque l'accrochage bas invitant à un
  rapport quasi physique avec l'oeuvre. Le corps ne constitue donc jamais
  un modèle, pas plus que les sujets, d'ailleurs, qui donnent leurs
  titres aux oeuvres. Aucune mimesis ne les caractérise, mais seulement
  un vague sentiment de reconnaissance-Arbres de Noël est sans doute
  la pièce la plus mimétique de Jean-Marc Bustamante. Ainsi,
  les Paysages réalisés entre 1988 et 1993 (sept sont présentés
  dans l'exposition), bien loin d'en être une representation-alors
  même que les paysages photographies s'intitulaient Tableaux-, évoluent
  entre le relief mural frontal et peint et la sculpture autonome du mur,
  le plus souvent entailles de fentes, de perforations ou de crènelures.
  Parfois,I'idée du paysage semble y resurgir, comme c'est le cas
  avec Paysage droit devant de 1993,un assemblage de plaques de métal
  verticales et angulaires reliées par un élément horizontal,
  qui pourrait évoquer une foret touffue, pénétrable
  seulement par le regard. Cependant,s'il s'agit d'un paysage, ce serait
  plutôt celui d'un lieu intérieur.Le mot semble en effet entretenir
  chez Bustamante un rapport "relâché" à sa
  signification, essentiellement connotatif,et deja l'interieur et l'exterieur
  ont, dans l'oeuvre, quitté leur place respective. Les Paysages et
  les Sites sont ainsi des espaces mentaux,les lieux d'une possible situation
  et d'un recueillement. C'est 
  ce que Bustamante souligne en citant Heidegger: "Comme lieu du recueil,
  le site ramène à soi, maintient en garde ce qu'il ramène,
  non pas sans doute à la façon d'une enveloppe hermétiquement
  close, car il anime de transparence et de transsonance ce qui est recueilli,et
  par là seulement le libère en son être propre."
  (Acheminement vers la parole) Installer des lieux, des sites, se double
  également d'un travail sur leurs limites (Des limites est le titre
  d'une oeuvre de 1988). Délimiter un paysage dans les Tableaux, délimiter
  la matière, soit dans la netteté, soit dans l'apparence de
  sa possible dissolution, c'est aussi suggérer un ailleurs, un passage,
  une rupture. Les récentes vitrines-aquariums Aquarama I et II (1996),
  greffées de plaques de métal peint et boulonné, illustrent
  ce jeu incessant de va-et-vient entre fixité et mutabilité.
  Le regard est arrêté, bloqué, et dans le même
  temps autorise à voir au-delà, tandis que l'element aquatique,
  absent, suggère une fluidification des limites. Sans doute cette
  tentative d'abolir la limite renforce le sentiment de mélancolie
  latent qui traverse l'oeuvre de Bustamante. 
   
  Les Fleurs (1987) ou Regrets (version minium) de 1991 semblent dire cette
  conscience, tout en affirmant une vitalité silencieuse. "La
  seule question que je puisse me poser dans mon travail, dit Bustamante,
  c'est mon rapport à la mort. Il n'y a pas d'autre question." 
  Mais il ajoute: "Je n'ai pas la volonté de représenter
  la mort.Au contraire, je veux toujours rebondir vers la vie. La vie dans
  la mort. La mort dans la vie." 
  En 1992, au Stedelijk Van Abbemuseum d'Eindhoven, Bustamante présentait
  dans une salle contiguë à son exposition des extraits de La
  Notte de Michelangelo Antonioni. 
  Une présence pleine, une lenteur silencieuse, "des ambiguïtes
  relationnelles, des lieux transitoires, des situations indéfinies"
  . 
   
  Un lent retour. 
   
  Christine Macel 
   
  
  
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