[ FRAC Limousin ]

 

William Wegman

 Deux voies seulement s'offraient aux artistes, selon William Wegman lorsqu'il était étudiant: celle de l'Art Minimal ou Conceptuel et celle du Pop Art. C'est la première de ces deux voies dans laquelle il s'engagea d'abord mais il exploita très vite des traits empruntés à ces deux tendances, en faisant notamment intervenir des objets et des produits de consommation courante dans ses constructions conceptuelles.

Deux thèmes majeurs se dégageront bientôt très nettement de son oeuvre: le problème de la perception qui prête à des développements à caractère didactique - et celui de l'identité - qui reflète des préoccupations plus personnelles. La plupart des photos qu'il produit au début des années soixante-dix sont des autoportraits. Et c'est à la même époque, en septembre 1970, que, cédant à la demande de sa femme, William Wegman achète un chien, qu'il va appeler Man Ray et qui deviendra d'abord un compagnon inséparable puis un collaborateur hors pair: plus tard dans l'oeuvre photographique et immédiatement dans l'oeuvre vidéo, où les préoccupations didactiques sont justement poussées jusqu'à l'absurde.

William Wegman fit un jour l'un de ses autoportraits les plus lapidaires, les plus économes de moyen et les plus fidèles en additionnant:

 

- Photo + vidéo + dessin = William Wegman -.

 

Le dessin intervient dans la chronologie après les premières expérimentations photographiques et vidéo mais, a la différence de ces deux techniques, I'artiste va à contre-courant de la tendance en s'y adonnant. "J'avais le sentiment de faire quelque chose d'interdit ", dit-il, cependant il se sentira immédiatement à l'aise avec le dessin (son aptitude à exprimer une idée plus ou moins abstraite parvenant d'emblée par ce moyen à un degré d'efficacité et de concision extraordinaire) et il y recourra dés lors sans interruption jusqu'à présent. Le dessin permet en effet à l'artiste de s'affranchir des contraintes de l'atelier. Grâce au dessin, la Chine est aussi accessible que Brooklyn. le Président Lincoln aussi facile à convoquer que n'importe quel inconnu. Tous les trucages sont possibles et les plus grossières invraisemblances sont vraisemblables. Tout s'équivaut et dans le même temps, les plus subtiles différences peuvent être mises en évidence: la différence entre un / et un e cursifs; la différence entre un vol de mouettes et des flots stylisés; la différence parfois infime entre ce qui vous paraîtra drôle et ce qui vous paraîtra étrange ; la différence quasi imperceptible, par le truchement du dessin, entre un verre d'eau et un verre de lait...

C'est cette hyper-acuité que requiert le dessin et à la fois cette liberté extrême qui l'accompagne que Wegman apprécie dans ce moyen d 'expression. Cette aptitude a tantôt éprouver le principe de réalité et tantôt à s'en échapper, cette multiplicité des styles et des niveaux de communication qui sont aussi attachés à ce langage: de la calligraphie au dessin technique et à de nombreuses autres conventions comme celles de la publicité, de la bande dessinée, de la cartographie, de l'illustration en tous genres... Nul accessoire n'est requis pour le dessin, contrairement à la photo ou à la vidéo mais, dans un état de concentration propre à saisir la moindre inflexion du sens, tout peut envahir cet espace éminemment perméable. D'où le statut de notations brèves qu'ont souvent ces uvres. Et d'où le rôle important que jouent les légendes, descriptives jusqu'à la tautologie ou au contraire volontairement sibyllines, authentiquement énigmatiques.

Le dessin se situant évidemment au plus proche de l'écrit. (Certaines d'entre ces uvres consistent en des lettres, des confessions, des rébus ou des menus fictifs.) Et la pratique du dessin, comme celle de l'écrit, se concevant, ainsi que Wegman se plaît à le remarquer, selon un protocole secret, commun à celui de l'écriture: comme le seul moment où l'artiste travaille seul, assis à sa table.

 

Une feuille de papier et un crayon (un stylo parfois, un pinceau et de l'encre de chine, un pinceau et une boîte d'aquarelle tout au plus, quelques vignettes pour les collages récents) suffisant à son bonheur, à l'instar d'un enfant absorbé dans un coloriage.

" N'oubliez jamais votre enfance ", dit d'ailleurs explicitement la légende d'un de ses dessins. Cette enfance que ne cesse d'interroger Wegman, notamment à travers les références à d'anciennes encyclopédies.

 

Aujourd'hui William Wegman aborde le dessin dans la perspective de ready-made rectifiés, à base de cartes postales, de vignettes diverses ou de photos du XIX siècle. Dans son livre a Peinture Cubiste, Jean Paulhan écrivait: " Quand Marcel Duchamp, Ernst, Picabia signent une tache d'encre, collent l'une sur l'autre des vignettes romantiques ou bien intitulent Pharmacie un délicieux, trop délicieux bord de rivière, je vois bien qu'il s'agit pour eux de me faire admettre qu'il s'est passé [...] un événement parfaitement absurde et imprévisible dont il ne me reste que la ressource d'admettre qu'il est vrai, puisqu'il me fait dire, sitôt que je le vois:
"Voilà une idée que je n'aurais pas eue" et même [...]: "On n'a pas idée de ça !"

Frédéric PAUL

 

Dessins de haut en bas:

1 Hiding the Eight, 1973
2 Bill Wegman, 1981
3 Ages of Man,1975

 

 

Cette première rétrospective des dessins de William Wegman rassemble plus de deux cents uvres provenant de la collection de l'artiste, de quelques collections privées et des galeries Fraenkel, à San Francisco, et Holly Solomon, Sperone/Westwater et Jay Gomey Modern Art, à New York. Outre une abondante illustration et un long entretien, le catalogue réunira un important recueil de textes de fiction, qui, pour l'essentiel, furent écrits par l'artiste parallèlement à la realisation de ses très fameuses vidéos des années soixante-dix.

 

Le FRAC Limousin avait déjà proposé en 1991 une exposition et un livre, devenu référencé, consacrés aux débuts photographiques de William Wegman.