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giuseppe gabellone

giuseppe gabellone

 

Giuseppe Gabellone a 26 ans. Il vit entre Brindisi et Milan. Sa sculpture est ouverte, encore imprévisible même si la poignée d'oeuvres achevées à ce jour dénotent une assurance peu commune. Gabellone a participé à la Biennale de Venise 1997, et à celle de Sydney en 1998. À l'exception d'une oeuvre vue à l'ARC, à Paris, dans une exposition de groupe en 1997, son travail n'a jamais été montré en France.

Je n'ai jamais pu rendre visite à Giuseppe Gabellone dans son atelier, je n'ai jamais eu l'occasion de le rencontrer chez lui et je n'ai jamais pu tirer de lui des informations précises sur ses travaux en cours.
Gabellone n'a en fait jamais plus d'une oeuvre en chantier. Les idées sont rares et plusieurs mois de travail ne suffisent pas à venir à bout de la meilleure d'entre elles. Une dizaine d'oeuvres produites à ce jour, dans ces conditions, c'est déjà beaucoup. Il faudra repasser...
Il y a une dimension taciturne dans l'oeuvre de Gabellone et dans la façon dont celle-ci s'élabore. Et les arrières plans de ses photos traduisent assez bien cet état de désolation qui entoure les travaux les plus accomplis décor d'entrepôt vide, de parking souterrain, murs auréolés d'humidité, arrière cour, terrain vague clos de murs...
Comme si cette sculpture placée sans ambiguïté au centre de l'image ne devait pas supporter la concurrence d'une réalité aux couleurs trop vives... ou comme si l'entreprise artistique était, ainsi représentée, volontairement livrée à la corruption, au contraire.

Gabellone produit peu et il démolit beaucoup, en effet. Et s'il voue à la destruction la plupart de ses sculptures, c'est sans doute parcequ'il ne les juge pleinement signifiantes que sous le point de vue unique de la photographie.
Seules exceptions à ce nihilisme calme, celles de ses sculptures destinées à être vues pliées ou dépliées (un corridor extensible en aluminium et en toile, un cube "tricoté" en fibre végétale) ou, étrange spécimen d'objet ethnique (?), une énorme nasse de raphia à la beauté circulaire, toute entortillée sur elle-même. Or ces sculptures qu'il choisit de présenter dans leur intégrité tridimensionnelle, Giuseppe Gabellone les appelle des "sculptures doubles". Toutes les autres sont réductibles à une image. Celles-ci auraient une dimension supplémentaire, une dimension "louche" qui les rendrait inassimilables : en deçà ou au-delà du pouvoir de l'image.
Car que l'image soit porteuse de sens, cela ne fait aucun doute. Elle est faite pour ça elle ne s'adresse que secondairement à l'expérience physique, elle sollicite d'abord notre réflexion : elle se détache du réel, et relève de la pensée sur le réel.

Les "sculptures doubles" sont-elles des objets plus embarrassants, moins fonctionnels et plus plastiques ? Ce sont, plus prosaïquement, les travaux présentant, au terme d'une fastidieuse exécution, le plus de garantie de pérennité. L'accouchement de l'objet faisant plus encore partie du sujet. Car l'énergie et la détermination engagées par Gabellone dans chacune de ses réalisations - comme le choix de matériaux inusités chez ses contemporains : la paille ou le raphia, à"l'époque de la reproductibilité numérique de l'oeuvre d'art" -sont des composantes hautement signifiantes.
Deux oeuvres portent cette dimension physique à l'exaspération Vasca, de 1996, photographie d'un bassin en terre crue adossé à un mur de parpaings (exercice de modelage frénétique, dont on peut supposer qu'il a été bâclé en un temps limité) et Km 2,6, une vidéo de 1993 qui doit son titre à la longueur de ruban adhésif débobiné pour parcourir en zigzags l'espace très encombré d'une maison ordinaire.

Avec la vidéo Km 2,6, de 1993, Gabellone a symboliquement payé son tribut à l'Action Painting, il le reconnaît. Or certaines de ses oeuvres s'inscrivent aussi dans la postérité de Lucio Fontana et d'Alberto Burri, d'autres évoquent, tel son cube tricote une forme dévoyée de sculpture minimale, d'autres encore entretiennent une forme de cousinage avec Matta-Clark ou Manzoni...
Sa lecture de l'histoire de l'art est empirique. Son oeuvre dévie en outre du vocabulaire formel et du matériel thématique en vigueur chez la plupart des artistes de sa génération. Les connotations sexuelles ou sociologiques sont inexistantes ou soigneusement refoulées par exemple. L'homme est désespérément absent, sauf à être destinataire des fragments d'architecture qui jalonnent son catalogue anachronique d'apprenti bâtisseur, à mille lieues des prétentions très en vogue de tant d'artistes architectes ou d'artistes ingénieurs...

Gabellone n'en appelle plus aujourd'hui à la figure démiurgique d'un Jackson Pollock, mais ses efforts non moins ambitieux tendent imperturbablement vers une vision prototypique du monde, une vision d'avant la connaissance, une hallucination servie par des objets absurdes mais dotés, certains, se demande-t-on, de susceptibles applications pratiques et d'un solide pouvoir d'évocation poétique.

Frédéric PAUL