[ La Terrasse ]

Une Ville - Une Collection
L'Art du XXe siècle au Musée d'Art Moderne de Saint-Etienne


"Ellsworth Kelly, Donald Judd, Claude Viallat, Daniel Buren"


Depuis son ouverture, le 10 decembre 1987, le Musée d'Art Moderne de Saint-Etienne, a inscrit à son inventaire plus d'oeuvres qu'entre, disons, 1860 et 1987 le Musée d'Art et d'industrie dont il est l'émanation. Un tel enrichissement est exceptionnel et, pour la seconde moitié du XXe siècle, la collection de Saint-Étienne est l'une des rares collections françaises de référence. Et elle apparaît désormais comme la collection française qui, après celle du Musée National d'Art Moderne, permet un d~ploiement significatif de la création artistique internationale depuis la fin de la seconde guerre mondiale.

Or cette collection n'a jamais pu être vraiment montrée car les espaces du Musée dévolus à la présentation des collections permanentes sont notoirement insuffisants. Ce n'est qu'au gré "d'accrochages" ponctuels ou des présentations de donations ou de dépôts de longue durée que nous avons pu mesurer sa richesse et prendre conscience de la nécessité impérative de la montrer, de tenter de la montrer dans sa presque totalité. D'autant qu'un grand nombre d'oeuvres qui la composent sont d'une qualité et d'une importance telles qu'il est dommageable pour le Musée et pour la Ville de les laisser se morfondre dans le confort silencieux des réserves. C'est dommageable, en outre, pour la connaissance et la divulgation de l'art depuis 1960, de moins en moins bien montré dans les musées à tel point que l'on croît revivre les années 70 pendant lesquelles l'art de la fin des années 50 et du début des années 60 était quasiment interdit de vue au public. Et c'est pourquoi l'art contemporain dont on débat beaucoup, à tort et à travers, est ainsi comme coupé de ses sources et semble ne pas avoir d'histoire.

Ces raisons, ces constats expliquent notre dessein de présenter la totalité de nos collections. Nous voulons aussi attester que notre Musée reste attentif à l'art présent et que, s'il a organisé et présenté, ces deux dernières années, un peu moins d'expositions que pendant les années précédentes c'est, peut-être, parce qu'il s'est surtout préoccupé d'enrichir et de renforcer ses collections. Les montrer ne se résumera pas à l'étalage des trésors d'une Cité, mais en permettra l'étude, le constat des points forts, une appréhension plus juste des lacunes et des points faibles. La publication du catalogue et celle d'un CD-Rom relié à un "site" Internet accompagnera cette présentation et offrira ainsi à la disposition du public et des chercheurs l'accès à l'intégralité de cette collection et, en temps réel, à ses enrichissements à venir.

C'est pourquoi ce déploiement - malgré sa brièveté voulue, parce qu'il est de l'ordre de l'événement - veut aussi stimuler la réflexion sur les solutions à imaginer pour mieux la montrer et la mettre à la disposition du public. Peut-être nous conduira-t-il à réfléchir à ce que signifie "montrer", à ce que doit être aujourd'hui et dans les années qui viennent le dispositif .de l'exposition de l'art du XXe siècle et de celui du siècle qui va s'ouvrir: c'est-à-dire le Musée? Faut-il ne songer qu'au seul agrandissement? Nécessaire, c'est évident, suffira-t-il pour assurer la divulgation large de collections qui doivent encore s'enrichir ? Et quelle politique d'acquisition, en France, un Musée comme celui de Saint-Étienne doit-il conduire? Et doit-il la conduire seul ? Ou en complémentarité et en partenariat avec d'autres musées? Un tel débat ne se limite pas au contexte de la collection et de sa croissance, mais s'inscrit dans celui plus vaste du rôle du Musée en matière d'éducation, de communication, bref de l'image qu'il offre d'une ville et des missions "économiques" qui peuvent être les siennes.

Il sera ainsi possible de rendre aux donateurs, et à ceux qui nous ont consenti des dépôts de longue durée, l'hommage qui leur revient, de leur exprimer notre gratitude, en soulignant combien leurs dons, leurs prêts, ont orienté notre politique d'acquisition, l'ont modelée, façonnée et que les collections sont, telles qu'elles sont, leur oeuvre. Sans Jacqueline VictorBrauner, sans Vicky Rémy, sans François et Ninon Robelin, sans l'activité de la mission mécénat de la Caisse des Dépôts et Consignations, les collections du Musée ne pourraient certainement pas déployer les oeuvres qui en constituent désormais la richesse. Mais il faut rappeler que, sans l'attention jamais démentie des Maires et des municipalités qui ont conduit la politique de la Ville de Saint-Étienne, rien n'eût été possible. Comme il convient de rappeler le rôle de l'État, de la Région, du Fonds Régional d'Acquisition des Musées. Et celui des institutions, Musée National d'Art Moderne, Musée Pîcasso, Fonds National d'Art Contemporain, Fonds Régional d'Art Contemporain, dont les dépôts ont permis la constitution d'ensembles d'oeuvres significatifs assurant à notre collection son statut de collection de référence pour l'art de ces dernières décennies I Ajoutons que, sans l'aide du Conseil Général de la Loire et de son Président, la collection de "design" n'existerait pas, alors qu'elle participe d'une politique de formation professionnelle dans laquelle se spécialise l'École des Beaux-Arts.
Mais cette collection ne pourrait présenter les peintures, sculptures, photographies, dont elle s'est enrichie depuis dix ans et dont beaucoup ne sont pas à la portée des ressources d'un Musée d'une ville de deux cent mille habitants, sans le soutien d'un mécénat exemplaire et fidèle : celui que nous accorde depuis 1987 la Fondation d'entreprise Casino. Voulu par Antoine Guichard, ce mécénat citoyen a donné à notre musée la capacité d'acquisition et de fonctionnement d'un grand musée au rayonnement international.

Or à cette collection, dont la présentation de ce Xe anniversaire va offrir la découverte, vont s'ajouter les dépôts de longue durée consentis par la Collection Sonnabend. L'arrivée des oeuvres de cette collection constitue à elle seule un événement majeur de l'histoire du Musée. D'Andy Warhol à Ashley Bickerton, Jeff Koo ns et Caroîl Dunham, en passant par Arman, Christo, Jim Dine, Tom Wesselman, Claes Oldenburg, James Rosenquist, Robert Morris, Sol LeWitt, Mel Bochner, Barry LeVa, Mano Merz, Giovanni Anselmo, Pier Paolo Caîzolari, Guberto Zono, Berndt et Hilla Becher, John Baldessari, Baselitz, Kiefer, etc..., c'est l'un des plus beaux panoramas de l'art des années 60 à aujourd'hui que déroule cette collection composée d'oeuvres majeures dont l'importance historique est reconnue et attestée. Quel autre lieu en France pourra pour cette période, avec les donations Vicky Rémy et François et Ninon Robelin, offrir à ses visiteurs un tel rassemblement de chefs-d'oeuvre? On comprendra que la venue de la Collection Sonnabend justifie cette présentation de la totalité de la collection du Musée afin de poser la question de son avenir. La ville de Saint-Étienne dispose désormais des moyens d'un développement touristique culturel incomparable.

Cette présentation s'effectuera au Musée d'Art Moderne d'une part et au Palais des Expositions d'autre part.

Au Musée d'Art Moderne seront montrés les grands développements de l'art moderne jusqu'aux années 60. Pour la première partie du siècle, outre des peintures et des sculptures de Monet, Rodin, Matisse, Picasso, Léger, Zadkine, Hausmann, Delaunay, Magnelli, Kupka, Kandinsky, Duchamp, Picabia, Scnwitters, Ernst, Mirô, Tanguy, seront présentés dix-sept peintures de Victor Brauner et près de cent dessins extraits d'un tonds qui en regroupe plus de trois mille. À partir de 1945, le Musée peut présenter quelques ensembles forts et caractéristiques. Ainsi pour Dubuffet et Soulages. Mais l'on pourra voir des peintures de Bram Van Velde, Fautrier, Manessier, Bissière, Atlan, Hartung, des sculptures de Germaine Richier, Étienne-Martin, Jacobsen, Calder, composant un bel ensemble d'oeuvres des années 50. La collection de photographies de cette période sera, elle aussi, exposée, de même que des ensembles de dessins, de tapisseries et de céramiques de Picasso et Victor Brauner...

Au Palais des Expositions , ce sont les tendances et mouvements qui ont marqué le cours de l'histoire de l'art depuis 1960 dont seront donc déployées les oeuvres conservées par le Musée. Pour le Pop Art et le Nouveau Réalisme, à celles mentionnées plus haut, déposées par la Collection Sonnabend, s'ajouteront des peintures, sculptures, objets, installations de Warhol, Litchenstein, Oldenbourg, Wesselmann, Dine, Klein, Arman, Spoerri, Villeglé, Hains, Raysse. L'art européen des années 70 est représenté dans nos collections par des ensembles dont, faute de place, le public n'a pas vraiment pu prendre la mesure. C'est le cas pour Buren, Toroni, Lavier, Dietman, Boltanski, Gerz, Filliou, Fluxus, Vostell, Dieter Roth, Brecht, etc. C'est le cas encore pour l'Arte Povera et Supports/Surfaces bien représentés par des oeuvres de Merz, Zono, Penone, Fabro, Boetti, Viallat, Pagès, Saytour, Grand, Cane, Bioulès, Dezeuze...

La richesse de la collection est due aux apports incomparables des donations François et Ninon Robelin et Vicky Rémy...

Une part importante sera accordée dans la présentation à l'art américain dans ses formulations minimales et radicales. Le Musée est déjà riche, en effet, d'oeuvres et d'ensembles d'oeuvres de Morris Louis, kelly, Stella, Noland, LeWitt, Morris, Judd, Flavin, Andre, Kosuth auxquels s'ajouteront les pièces de la Collection Sonnabend. Sera aussi présenté l'ensemble d'oeuvres conceptuelles donné au Musée par Vicky Rémy : Art and Language, Venet, Tania Mouraud, Beckley, Burgin, Hutchinson, Oppenheim, etc.

Un autre point fort de la collection réside certainement dans sa capacité à présenter l'art allemand depuis 1980 par des groupes d'oeuvres de Baselitz, lmmendorf, Lùpertz, Penck, Berndt et Hilla Becher, mais surtout de Richter, ainsi que de Poîke et Bûthe, ces derniers entrés dans la collection grâce à la donation de François et Ninon Robelin. S'y ajoutent des pièces, installations, sculptures et photographies de Schûtte, Gerdes, Klingelhôller, Rufi, Fôrg, etc., que viendront rehausser encore les dépôts de la Collection Sonnabend.

Enfin nous montrerons des oeuvres plus récentes de Vermeiren, Leccia, IFP, Bustamante, Verjux, Federle, Piffaretti, Favier, Sterbak, Hybert, Othoniel, Schnabel, Sherman, Kruger... qui témoigneront qu'à partir du dépôt accordé par la Caisse des Dépôts et Consignations, nous poursuivons dans le domaine de l'art contemporain la politique entreprise depuis 1967. Vingt ans après, elle débouchait sur la construction du Musée d'Art Moderne. Les enrichissements des collections exigent aujourd'hui, pour que ces collections soient correctement montrées,

l'aménagement temporaire de près de 4000 mètres carrés au Palais des Expositions. On comprend donc que, Si un agrandissement s'impose, il doive s'accompagner d'une vraie et solide réflexion, comme nous le disions plus haut, sur ce que c'est que "montrer". Ce déploiement est l'occasion de le faire, comme il est l'occasion d'une redéfinition de notre politique d'acquisition, après l'entrée dans notre Musée des donations et dépôts de Vicky Rémy, François et Ninon Robelin, de la Caisse des Dépôts et Consignations et de celle que nous accorde, afin de composer pour l'art des années 60-80 une collection de référence, unique et exceptionnelle, la Collection Sonnabend.


Andy Warhol "Portrait of Ileana Sonnabend", 1973, ADAGP 1998

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