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 Jean-Pierre Giovanelli


"Siamo tutti legati alla madre sia per la nascita che per la donna e per la nostra morte!"

A la différence des artistes qui maintiennent la tradition fondée sur la peinture et la sculpture, exposant régulièrement dans les galeries et les salons, à la différence des artistes qui tournent résolument le dos à la tradition pour s'en remettre aux seules ressources de la technologie, l'ordinateur en tête, Jean-Pierre Giovanelli, comme d'autres artistes qui lui sont proches, se (distingue par une démarche originale.

Tel est du moins le sentiment que j'éprouve en présence des ses installations qui, sans renier la richesse du passé, ouvrent la voie à une filiation d'un nouveau type.

Si donc l'art "classique" a recouru aux moyens eux-mêmes classiques, il semble que s'esquisse aujourd'hui un art qui, sans récuser le passé, s'ouvre à une "invention" en accord avec les nouvelles conditions techniques.
'L'homme fabrique des outils concrets et des symboles, observait déjà avec force Leroi-Gourhan dans Le geste et la parole.

Les tins et les autres recourent dans le cerveau au même équipement fondamental... Le langage et l'outil sont l'expression de la même propriété de l'homme

Notre pari est donc clair : nous nous devons. et les artistes les premiers, de prendre en compte à la fois la technologie et l'imaginaire émergents en vue de l'étape qui nous conduit au seuil du prochain siècle.
C'est ainsi qu'on voit poindre des expressions artistiques qui visent moins à "l'oeuvre achevée" qu'à exprimer le mouvement même d'une quête en train de se faire. Il ne s'agit en effet pas de re-trouver, comme dans la quête du Graal par exemple, le vase sacré contenant le sang de Jésus, mais d "'inventer" un nouvel objet. un nouveau sens.

Gageure? Enjeu'? Défi?
Il ne s'agit de rien moins que de ressourcer les symbolismes profonds Si souvent oblitérés par les déviations d'une société fonctionnelle à la solde des marchands. Les automobilistes qui font le plus naturellement du inonde le plein à la station d'essence seraient bien étonnés d'apprendre que ce sont les micro-organismes accumulés au cours des premiers millénaires de notre planète qui leur fournissent les moyens de rouler à leur gré, leur seule préoccupation étant le prix du litre à la pompe.

Et l'on ne sache pas qu'Esso. SheIl ou BP s'apprêtent à remplacer leurs logos respectifs par un hommage à Cala, à qui nous
devons pourtant tout.

Quand les règles sont biaisées, c'est le statut même de la réalité qui est en jeu. Et c'est là qu'interviennent certains artistes, parmi eux Jean-Pierre Giovanelli, avec une acuité particulière.

Ainsi dans cette installation qui nous montre des papiers réels et d'autres simulés, les uns figés. les autres en vol, comme Si notre monde s'ouvrait à la mise en oeuvre d'un espace qui n'est ni réel, ni feint, mais dont la dynamique affecte. an-delà de la voie millénaire de la représentation, aussi bien nos perceptions que notre imaginaire. Espace-temps d'un nouveau type qui, sans se réclamer de la relativité einsteinienne, inaugure des courbures, des bifurcations. bref des "métamorphoses" à la faveur de l'interaction "installation-spectateur en temps réel". Ces points mériteraient une longue réflexion, que je ne puis faire ici.

Mai s prenons l'installation que Jean-Pierre Giovanelli intitule "ma". Voici une chambre noire en forme de cube que traverse de haut en bas un cône dont l'ouverture plonge sur une ronde de visages d'hommes très âgés pris dans le mouvement giratoire du lait que contient un bac à demi visible. Des traces de lumière au sol composent une sorte de collier de perles dont le mouvement circulaire reprend celui du lait tandis que des babils continus d'enfants se font entendre au moyen de haut-parleurs dissimulés.

Installation de prime abord combien déconcertante, mais qui, sans qu'il y ait rappel direct, ne peut manquer d'évoquer l'une des scènes les plus pénétrantes du mythe vichnouite le barattage de la mer de lait, dont l'une des plus belles représentations se trouve a Angkor. Dans une suite de bas-reliefs saisissants, on voit aux prises les dieux et les démons qui, tirant sur la corde symbolisée par le serpent Naga. barattent la mer de lait pour en faire surgir la liqueur d'immortalité convoitée par tous.

Au cours des tractions opposés qu'exercent dieux et démons pendant plus d'un millénaire naissent la déesse de la beauté et les merveilleuses apsaras qui peuplent le ciel de leur danse ailée, enfin, dans l'épaisseur du lait baratté jusqu'à son terme, la liqueur d'immortalité, qui échoit aux dieux.

On s'étonnera peut-être d'un tel rapprochement et des détails que je rapporte. Mais Si je le fais, c'est qu'étant récemment
à Angkor pour voir de près l'art khmer, j'ai été frappé. comme je le suis depuis longtemps tant en Egypte qu'en Chine, en Corée, au Japon, ou en Amérique du Sud, de retrouver ce que j'appellerai les "amonts du mythe" dont certains artistes contemporains font leur vocation. Précisons pour dissiper tout malentendu
il ne s'agît nullement d' "influence"". ni même d' "inspiration", comme ce fut Si souvent le cas au cours de l'histoire, par exemple quand les artistes de la Renaissance rendent expressément hommage à l'Antiquité classique, ni même quand certains artistes modernes, parmi les plus illustres, affichent ouvertement leur dette à l'art africain ou océanien.

Aussi paradoxal que cela paraisse, ce que j'appellerai "les amonts de la technologie" semblent rejoindre les "amonts du mythe". autrement dit leur noyau énergétique commun, qui a pris tant de visages différents au cours des siècles. suscite

Ce ne sont donc ni les thèmes ni les structures qui sont repris, encore moins les représentations, fussent-elles transposées; c'est le complexe de forces mis en oeuvre au moyen de nos nouveaux outils qui invente, à partir de l'élan symbolique originel, les visages propres à la manifester à notre époque et que les artistes de notre époque s'emploient a "animer", à leur donner forme et mouvement.

Pourrais-je dire que le "barattage" se poursuit, que de nouvelles créatures voient le jour? Le colostrum, cette part essentielle du lait maternel, a non seulement vertu nutritive mais, comme l'ont établi les scientifiques, vertu psychique.

Le "petit". enfant ou agneau, se lie à Sa mère par le lait maternel qu'il reçoit et qui se module au fur et à mesure de ses besoins. Liqueur de vie, qui fortifie le système immunitaire, développe la formation du cerveau, "liqueur d'âme", qui crée les liens affectifs de la filiation. Le lait épiphanique descend du cône lumineux pour plonger dans la mêlée des visages virtuels. Non plus échelle des âges, mais roue du temps?

Du babil des petits enfants aux vestiges des vieillards, les êtres humains s'évacuent pour laisser la place aux générations tapies au coeur du lait initial.

L ' immortalité est l'initiation de l' espèce. L'installation de Jean-Pierre Giovanelli prend l'allure d'un oracle antique. mais avec l'accent poignant d'aujourd'hui.

René Berger - avril 1998

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