Galerie Lelia Mordoch

 

 

Groupe de Recherche d'Art Visuel : 1960/1968

Horacio GARCIA, Julio LE PARC, François MORELLET, Francisco SOBRINO, Joël STEIN, Jean-Pirre YVARAL

oeuvres anciennes et récentes


Les membres du Groupe de Recherche d'Art Visuel se passionnent pour l'art construit et le cinétisme, et cherchent à donner à l'art une fonction sociale... à le faire descendre dans la rue... et pourchassés par la maréchaussée, ils l'ont fait descendre dans la rue en 1966 avec leurs dalles mobiles à Montparnasse, leurs structures instables aux Champs Elysées. Aujourd'hui, ils sont tous au Centre Pompidou où "défense de ne pas toucher" est paradoxalement devenu quelque peu obsolète.

Le spectateur doit devenir acteur et l'art interactif, et non seulement interactif, mais ludique... c'est avant tout ce qui m'avait subjuguée dans l'exposition de Monsieur Yves Aupetitallot au Magasin de Grenoble en 1998. On ne s'y ennuyait pas... c'était comme de rebondir d'un jeu d'images à un jeu de lumière où le souci de la recherche et de l'esthétique n'enlevait rien au plaisir immédiat du spectateur. Il y a des oeuvres qui restent hermétiques pour beaucoup, les auteurs du G.R.A.V. ont toujours cherché à travailler pour le plus grand plaisir de tous, à toucher le badaud comme l'esthète. Cela faisait déjà longtemps que nous exposions les Couleur Lumière d'Horacio Garcia Rossi mais à cette occasion, nous avons pu
rencontrer les autres membres du groupe... des artistes qui n'ont cessé de continuer leurs recherches chacun de leur côté... et qui ont tous abouti à une esthétique particulière, originale, authentique, surprenante... Que demander de plus ?

Nous avons voulu les réunir à nouveau sur un même lieu d'exposition ; ils avaient répondu une première fois très gentiment à notre invitation, nous voulions montrer leurs oeuvres actuelles, l'exposition s'intitulait le GRAV (1960/1968) après le GRAV c'était en juin 1999. Nous allons renouveler l'expérience en juin/juillet 2001 mais en ajoutant pour chacun une oeuvre ancienne afin de mieux montrer leur parcours individuel.

Lélia Mordoch, Paris avril 2001


A la fondation du G.R.A.V. (initialement intitulé Centre de Recherche d'Art Visuel), un travail
théorique collectif préliminaire fut entrepris. Il s'agissait de définir des critères objectifs d'analyse pour obtenir une position théorique globale, à savoir la surestimation de l'individu et des circuit traditionnels de l'expression et de diffusion. Il semblait alors que cette position théorique globale fût facile à définir mais aux questions : "Sommes-nous des chercheurs ? Sommes-nous encore des artistes ? Quels devraient être nos rapports avec les galeries et les musées ?" aucune réponse d'ensemble ne pût être donnée et ceux qui défendaient l'idée d'une recherche pure et d'une rupture définitive avec les galeries ou les musées
quittèrent le Centre. Ceux à conserver l'idée que les liens avec les galeries et musées étaient nécessaires pour ne pas perdre le contact avec le public formèrent alors le Groupe de Recherche d'Art Visuel proprement dit et tinrent des réunions régulières tri-hebdomadaires. Ils établirent des critères de comportement et, par exemple, décidèrent de continuer à signer personnellement leurs oeuvres ; ils convinrent aussi de poursuivre un travail individuel sur des matériaux de base, tout en élaborant collectivement des problèmes esthétiques comme l'abandon de la deuxième dimension afin d'éviter toute connivence avec l'esthétique picturale. Ainsi Sobrino optait pour le plexiglas, Yvaral pour les fils de nylon et de vinyle tendus, Le Parc pour la lumière et le plexiglas, Stein pour les trièdres et la polarisation, Garcia Rossi pour les boîtes à réflexion lumineuse et Morellet pour la programmation des pulsions de tubes de néon.

Ces principes devaient par la suite conduire à quelques oeuvres collectives, telles des labyrinthes, des salles de jeux, des installations dans la rue, allant des structures contrôlables aux structures manipulables.

Mais le facteur commun, et le plus important, à toutes ces recherches tient à la poursuite de leurs objectifs généraux. Sans se référer spécifiquement aux déclarations et manifestes du Groupe de Recherche d'Art Visuel, il est clair que le principe fondamental auquel adhéraient ses différents membres, avec plus ou moins d'enthousiasme, était la dévalorisation de "l'artiste" et du "chef-d'oeuvre", au profit d'une sollicitation du spectateur.

Selon les déclarations du Groupe, les propositions esthétiques les plus révolutionnaires qui avaient été faites jusqu'alors n'avaient pas modifié la situation entre l'artiste, le spectateur et l'oeuvre d'art. Par contre, le G.R.A.V. avait pour objectif, à longue échéance, de créer une situation entièrement nouvelle dans laquelle l'oeuvre d'art deviendrait une "proposition plastique" représentant une recherche ouverte.
De son côté, le spectateur deviendrait doublement actif : non seulement il serait mis en contact direct avec l'oeuvre mais il participerait de l'activité des autres spectateurs.

Frank Popper, Paris, avril 1998
Extrait du catalogue de l'exposition : G.R.A.V. - Magasin de Grenoble, 1998

 

Biographie des artistes

 

Horacio Garcia Rossi

Horacio Garcia Rossi : Portrait ambigu des membres du GRAV Boite à lumière
Paris 64/68 - 60 cm x 60 cm x 40 cm

 

Né en 1929 à Buenos Aires, Argentine. De 1950 à 1957 : études à l'Ecole Nationale des Beaux-Arts de Buenos Aires, et enseignement. Lors de ses études, rencontre Demarco, Le Parc et Sobrino. Réside et travaille à Paris à partir de 1959. Son travail porte alors sur la recherche à deux dimensions, sur la problématique de l'anonymat et de la multiplication de la forme, du mouvement virtuel, de la programmation et de la systématisation en blanc, noir et gris,
ainsi que sur les problèmes de la juxtaposition des couleurs. En 1960, il est co-fondateur du Centre de Recherches d'Art Visuel, puis du GRAV. Intéressé par l'analyse des phénomènes visuels, il introduit à partir de 1962 le mouvement réel et la lumière dans ses recherches. Premières expériences de formes géométriques sur écrans.
Développe en même temps des oeuvres pouvant être manipulées par le spectateur (Cylindres en rotation), et entame une recherche continuelle sur le problème de l'instabilité avec la lumière et le mouvement, telles que les Boîtes à lumière instable avec couleurs et motifs à manipuler, et des structures lumière à couleurs changeantes. A partir de 1966, premières expériences avec l'identification visuelle de l'écriture (Mouvement), qui le mènent vers un Abécédaire en mouvement (Portrait ambigu des membres du GRAV), puis à partir de 1969, à une recherche
systématique d'un alphabet ambigu en essayant de donner à chaque lettre le mouvement que sa forme et sa signification ont en tant que lettre. De 1972 à 1974, retour aux problèmes plastiques bidimensionnels et à la recherche d'une structure simple par des moyens analytiques. Etude approfondie de la couleur et de ses possibilités.
De 1974 à 1978, recherches sur la problématique de la linguistique en tant que sujet de l'oeuvre.
Depuis 1978, recherches sur la problématique de la couleur lumière.

Julio Le Parc

Julio Le Parc : Continuel - Lumière - Cylindre 1962

Né en 1928 à Mendoza, Argentine. En 1942, il s'installe avec sa mère et ses frères à Buenos Aires, où il travaille dans une usine de maroquinerie. De 1943 à 1946, puis à partir de 1955, études aux Beaux-Arts où il rencontre Demarco, Garcia Rossi et Sobrino. Participe en 1955 à l'occupation des Beaux-Arts au moment du putsch de l'armée contre Per Aires vision périphérique et instabilité visuelle, premiers essais d'image-lumière démultipliée
par des plans de plexiglas en profondeur.

1960 : co-fondateur du Centre de Recherche d'Art visuel, puis du GRAV. Premiers mobiles et boîtes à lumières manipulables. Expériences avec les différentes utilisations de la lumière : projection, rayons de lumière en mouvement, reflets de mobiles translucides, installations avec lumières rasantes. A partir de 1963, création des environnements au sein des labyrinthes, des mobiles à traverser etc. Création des objets manipulables et interactifs.
Installation des passages accidentés et des parcours, il s'intéresse alors à des niveaux différents de participation : active, volontaire, involontaire, ludique. Premières uvres à l'échelle architecturale (3ème Biennale de Paris).
Développe des salles de jeu, des mouvements surprises, des chaussures pour marcher différemment, des lunettes pour une vision autre. 1966 premier prix de peinture de la biennale de Paris. En février 1968 publication du texte «Guérilla culturelle». Membre actif au sein des Ateliers populaire en mai 1968, Le Parc est expulsé de France. 1969 premier jeu-enquête : «Renverser les mythes». 1970 : installe son atelier à Cachan. Prise de position politique en
Amérique latine et à Cuba ; mobilisation d'artistes et création du FAP (Front des arts plastiques). 1972 : grande rétrospective à la Kunsthalle de Düsseldorf avec la création d'une salle de jeu. A partir de 1969, reprise des expériences de 1959 sur la base de 14 couleur et sur le thème des ondes, reprise des études sur la surface sous le thème des « modulations » en 1974. Nombreuses actions politiques et culturelles notamment en Amérique latine, l'engagement social et politique jouant un rôle à part entière dans le travail de l'artiste jusqu'à aujourd'hui.

François Morellet

Francois Morellet : Répartition aléatoire de 40 000 carrés 1962
50% violet - 50% gris très foncé

Né en 1926 à Cholet, France. Artiste autodidacte, François Morellet développe dès ses premières recherches, une méthode appliquée à une stimulation visuelle active. Sur la base d'une analyse systématique et rationnelle des éléments picturaux, il répartit, souvent selon les principes du hasard, des formes élémentaires telles que des lignes et des carrés sur fond neutre. Influencé par le concrétisme de Max Bill, dont il découvre l'oeuvre au Brésil et niant
l'abstraction lyrique de l'Ecole de Paris, Morellet tente ainsi d'éliminer toute trace individuelle de l'artiste, considérant la toile plutôt comme champ d'expérience visuelle que d'expression personnelle. Co-fondateur du Groupe de Recherche d'Art Visuel (GRAV) en 1960, il est également membre du mouvement international de la Nouvelle Tendance, espérant trouver dans la collaboration avec d'autres « chercheurs » une possibilité d'échange « scientifique » dans le cadre de leurs investigations. Les tableaux tels les 3200 carrés de 1957 se restreignent ainsi à
un élément géométrique simple qui est réparti sur la toile en alternance d'une manière aléatoire. Le hasard, qui empêche la volonté inconsciente de manipuler la mise en uvre des critères de beauté, aide à contrôler le processus d'une analyse neutre. Or, la toile structurée de cette manière stimule le spectateur dans l'établissement d'une relation active avec le tableau, laissant agir l'effet des formes et des couleurs sur la rétine d'une manière directe et immédiate.
Pour cette raison, Morellet renforce par la suite cet effet d'optique en accentuant les couleurs (Répartition aléatoire de 40 000 carrés suivant les chiffres pairs et impairs d'un annuaire de téléphone de 1961) ou la superposition des lignes (Double trame 1°-2° de 1960 ), recherche qui inspire simultanément ses sculptures en tiges d'acier inox. Cette volonté de stimuler le spectateur et de changer radicalement la relation art-public s'exprime notamment dans de nombreuses installations avec le GRAV telles que les Labyrinthes et les Aires de jeux (entre 1963 et 1968) qui incitent à une participation interactive. Dans un texte de 1971, Mrellet compare la réception de l'art à un pique-nique pendant lequel le spectateur ne peut manger que ce qu'il a apporté. Bien que Morellet n'ai pu se consacrer entièrement à sa production artistique qu'après la cessation de son activité industrielle en 1975, son oeuvre n'a pas changé fondamentalement depuis, utilisant toujours les cinq grands principes de son art : juxtaposition,
superposition, hasard, interférence et fragmentation.

Francisco Sobrino

Francisco Sobrino

 

Né en 1932 à Guadalajara, il part pour l'Argentine en 1946. 1950/57 : Ecole Nationale des Beaux-Arts de Buenos Aires, où il rencontre Demarco, Garcia Rossi et Le Parc. A partir de 1958, présence dans ses uvres de formes impersonnelles (carrés, cercles). 1959 : élimination des relations arbitraires des formes libres (compositions) sans l'incorporation de contenus subjectifs (significations émotives, messages etc.) Cherche une plus grande distance
entre l'oeuvre et l'artiste, au bénéfice d'une communication plus directe entre l'uvre et le spectateur. 1960 : co-fondateur du Centre de Recherche d'Art Visuel, puis du GRAV. Reliefs, formes plates superposées par interrelations, progressions, systématisation (Plexiglas blanc-noir et couleur), oeuvres en volumes (Plexiglas transparent). 1961 : formes juxtaposées donnant naissance à de nouvelles formes (Plexiglas transparent) : Espaces indéfinis. 1962 : Structures permutationnelles (Plexiglas transparent). Emploi de formes modulaires (carrés)
emboîtées par juxtapositions et superpositions, ces formes perdent le sens de leur position dans l'espace (position indéterminée).1963 : Stuctures permutables (réflexions), uvres en acier, inox poli, miroir par réflexion, obtenant des formes virtuelles ; uvres en mouvement. Participation directe du spectateur : Pulsations, oeuvres ludiques.
1965 : mouvement mécanique (Oppositions indéfinies). 1966 : lumière et mouvement, images virtuelles Rouge Vert, Espace vivant environnement. 1967 : transmission du mouvement Dans le vent avec la participation directe du spectateur. Mouvement mécanique Transformations linéaires. 1970 : mouvement aléatoire Livre dans le vent. 1971 : Ballet Requiem Ligeti, Adret, Sobrino. 1973 : refuse l'invitation officielle de représenter l'Espagne à la Biennale de Venise. 1981 : Première uvre autoénergétique (cellule solaire). 1990 : Relief articulé (40 mètres),
uvre flottant sur l'Orinoco. Biennale d'Arte efemere, Vénézuéla.

Depuis 1959 à nos jours, il continue à être cohérent et à développer les idées avec lesquelles il avait participé à la fondation du GRAV.

 

Joël Stein

Stein : vue de l'atelier, 2001

 

Né en 1926 à Saint-Martin Boulogne, France, Stein s'inscrit en 1946 à l'Ecole des Beaux-Arts de Paris et fréquente l'atelier Fernand Léger. Depuis 1956 premiers tableaux géométriques programmés sur des bases mathématiques, il développe à partir de 1958 l'idée du labyrinthe , encore bidimensionnel. En 1959, premiers reliefs manipulables. Co-fondateur du Centre de Recherche d'Art Visuel, puis du GRAV. Il travaille alors avec des effets moirés et l'activation visuelle du spectateur. En 1962, recherches sur la polarisation chromatique de la lumière qui donne forme aux premières boites lumineuses Polascopes. Publication avec P. Schaeffer Jeux de Trames. Du mouvement virtuel à travers le déplacement du champ visuel, Stein passe au mouvement réel et interactif de l'objet, qui intègre les recherches préalables ; il crée des Tourne-disques, Trièdres, Kaléidoscopes, et pour le Labyrinthe de 1963, des lampes manipulables. L'aspect ludique est accentué par la suite par des créations telles que les
Bouliers, Spirales, ou des boites manipulables. Inspiré par les nouvelles technologies, Stein introduit en 1968 le laser et continue les recherches sur la couleur. Enseigne à l'Ecole des Beaux-Arts de Paris, à la Faculté des Lettres à Vincennes, ainsi que les Arts plastiques à Saint-Charles.

Jean-Pierre Yvaral

Jean-Pierre Yvaral : Marilyn numérisée MM601 - 1993
200 x 124 cm

 

Né en 1934 à Paris, Jean-Pierre Yvaral fait des études à l'Ecole des Arts Appliqués de Paris où il se spécialise en publicité et graphisme. Dès 1954 : recherches visuelles en exploitant les différentes possibilités d'activation optique en vue d'une analyse systématique du fonctionnement de la perception visuelle. A partir de 1959, premières accélérations optiques en noir et blanc et exploitation de l'effet moiré en réalisant des superpositions de fils vyniliques sur trame et des réseaux noir et blanc échelonnés en profondeur (L'instabilité, 1961). Co-fondateur du Centre de Recherche d'Art Visuel, puis du GRAV. Il met alors au point la série Plan-espace, des reliefs où lastructure change en fonction de l'angle de vision du spectateur, l'incitant ainsi à se déplacer (Déplacement du spectateur). Le mouvement virtuel se transforme alors en un mouvement réel. Création d'objets manipulables pour le 1er Labyrinthe de 1963 (Disques à manipuler), ainsi que des installations en fils vinyliques interactifs invitant à une action directe de la part du spectateur. 1966 : création de la Structure instable, un espace cylindrique pénétrable à base de fils vinyliques pouvant créer des effets de moiré, présenté lors de Une journée dans la rue. Depuis 1968, introduction de la couleur, et organisation des surfaces à base d'éléments unitaires codifiés. Premier tableaux. Structure ambiguë et Polygamme. Mise au point des reliefs Chomotor, Volométrie, de stores vénitiens
polychromés mus électriquement, et réalisation de la série Optivisio, système d'animation par trames optiques transparentes. A partir de données fixées préalablement, le travail d'Yvaral s'effectue par le biais de mises au point expérimentales, de définitions de nouvelles organisations structurelles. Il cherche à déterminer les lois impératives qui règnent sur les combinaisons formelles unitaires, tout en contrôlant au maximum le processus de mise en uvre
d'un tableau ou d'une structure visuelle. L'utilisation de l'analyse informatique est une suite logique dans ce travail, non pas pour créer des images de synthèses ou produites par des logiciels, mais uniquement pour pouvoir calculer rapidement le « moyennage » d'une image numérique.

Extrait du catalogue GRAV 1960-1968 réalisé à l'occasion de la rétrospective au Magasin, Centre National d'Art Contemporain de Grenoble, 1998.