[Galerie Sollertis]

 

 Alain Josseau, JFK-cycle

 

JFK-cycle
ou le
Mannucher Carcano No2766, calibre 6,5 mm à culasse mobile

Il y a en substance du Blow up dans le film de Zapruder sur l'assassinat de JFK comme il y a du Zapruder dans le Blow up d'Antonioni... le mort central, entr'aperçu dans l'un, au milieu de l'image dans l'autre, mais sans plus de définition... juste une tête, qui se balance d'avant en arrière et vice versa,.. le choc... l'impact... Il y a aussi le vert du parc, soutenu dans le film d'Antonioni, qui dévore, absorbe toute l'image et celui encore du film de Zapruder entre Main Street et Elm Street, 1/3 puis 4/5 de l'image à la fin des 31 secondes du film... et puis, et surtout, il y a cet agrandissement, qui fait disparaître, plus qu'apparaître dans 'Antonioni (prouver... faire apparaître). A grossir les points de définition, le processus d'exploration de l'image ne conduit qu'a un doute.
Dans le film de Zapruder, il se passe autre chose (qui ne prouve rien non plus d'ailleurs), de l'ordre de la perturbation des signaux, entraînant par là méme un décalage entre ce que l'on doit lire et ce qui est vu, entre ce qui doit être vu et ce qui doit être compris (l'image film et vidéo, ne serait-elle pas nos nuages d'antan?).

Ces distorsions, ces distensions dans l'image nous laissent perplexe et l'on pourrait très bien en effectuer un autre déchiffrage (il n'est aucunement question ici de remettre en cause l'événement): ici, le bras levé, barrant le visage de JFK comme pour se protéger du soleil de midi... là le sourire crispé du sénateur ou encore de Jacky Kennedy, et puis ce mouvement de Jacky vers l'arrière de la Lincoln - pourquoi faire? (on sait aujourd'hui que c'était pour recueillir un morceau du crâne de son défunt président).
La seule chose que nous prouve ce film, ce sont les limites de la définition/image et cela nous renvoie par là-même à la question du nombre de signes minimum pour représenter, décrire quelque chose.
Le flou ne revient pas obligatoirement à une question technique : le passage d'un large pinceau sur une peinture fraîche, mais aussi à une mauvaise définition des signes, à leur nombre...
Peindre des trames, le flou à l'huile, des carrés à l'aquarelle, travailler sur les pixels d'un ordinateur c'est limiter au bout du compte le réel/image à trois types d'information, sa couleur, sa luminosité, sa position en X et en Y... ce n'est pas une donnée physique et pourtant notre réel est plat, et il est cela: des points... couleur, luminosité, X, Y.

En fait ce dont nous parle cette image, comme toutes les images du reste, c'est de mort... pas du ou des... mais de leur substance, de leur invariante inconséquence quant au réel, au temps. L'image est une courbe oeymptotique du réel, nous aurions beau les multiplier (voir la série JFK-cycle, Z168 à Z321, à 18 images seconde), nous n'approchons de rien, nous ne tendons vers rien. Rien ne sert de multiplier les frames pour une seconde, puis de nouveau (si c'était possible) de les multiplier pour un dixième de seconde, puis de nouveau des les multiplier pour un centième de seconde et encore et encore... de tenter de s'approcher ainsi du point... la sempiternelle impossibilité à représenter. à incarner...

L'art n'est pas une arme, il est rétine...

Le jour...l'instant où je mourrai, il y aura une image plan, une ultime information 16 bits qui

impressionnera mon cerveau...

Quelle était celle de Kennedy au moment de l'impact du projectile ? Qu'a t'il vu à la frame

313 que nous ne voyons pas...

L'image n'est pas un Mannlicher Carcano No 2766, calibre 6,5 mm à culasse mobile.

 

Alain Josseau, Janvier 2000.

 

Le Vert Ennuyeux

Entre ce qui est certainement là, et le même qui s'absente, il y a une sorte de ligne de flottaison qui soit souligne, soit biffe. Qu'elle biffe et souligne à la fois, c'est-à-dire qu'elle ait ce don d'ubiquité qui ferait d'elle une ligne d'horizon divisée, entretenant ce double rapport avec le monde simultanément, voilà qui est difficile à admeffre, du moins par les systèmes logiques de l'entendement. Il s'agit donc, pour l'artiste comme pour le spectateur, de faire cette opération particulière de l'esprit qui permettra d'apprécier à la fois ce qui est vu et la façon dont cela se dérobe, d'apprécier la dérobade même du visible, l'invisibilité de ce qui est à voir (je dis ceci au risque de paraître un peu ringard, mais je souligne ici que le travail d'Alain Josseau s'inscrit volontairement dans les traditions de la peinture lorsqu'il peint, de l'art en général lorsqu'il installe, programme, ou élabore).

Il semble qu'il n'y ait rien à voir, même lorsque ce que l'on voit est un acte pur dans l'être:
une balle dans la tête, qui a vraiment tué, un homme réel, qui réellement mourut. Même lorsque tout y est, le vert ennuyeux de l'herbe américaine, la foule, qui comme il se doit est informe, les photographes, qui à la fois justifient, accréditent, provoquent et débordent l'événement. Tout est encore à voir, il ne manque rien au film de Zapruder, ni aux toiles d'Alain Josseau. qui a scrupuleusement respecté les angles de prises de vues (j'allais écrire de visée, de tir), et le pourcentage de vert ennuyeux. Est-ce parce qu'il ne manque rien qu'il n'y a rien à voir?

En fait si!, il manque sur les toiles quelque chose, c'est l'écoulement de l'événement sur 31 secondes dont le film bénéficie. Un autre temps a donc dû prendre la relève, s'infiltrer entre la peinture à l'huile et l'événement d'une balle dans la tête. D'abord, le mouvement cinématographique revenant à une succession d'images fixes, comme sélectionnées sur le réel qui se donne en une infinité d'images se succédant selon un procédé impensable pour l'esprit, remarquons qu il ne s'agit, en ce qui concerne le cycle JFK que d'une nouvelle sélection de ces images, plus restrictive encore que le film, comme pour mieux discerner et organiser en représentation l'ordre des actions qui composent les événements, en une proposition de les voir simultanément, et je dis blen proposition parce que nous ne pouvons pas éliminer de notre temps d'observation la linéarité, la sélection que nous ferons à notre tour, comme cherchant à viser sur les murs de la galerie ce qu'il faut voir, la proie donnée à notre fusil oculaire de spectateur d'élite. Nous voulons voir le moment où ça arrivel Et pourtant ce moment nous ne le trouverons pas, celui où la balle tue, celui-la précis où il meurt, où la mort survient comme quelque chose de la vie intense. qui fait tout l'événement. Ce moment fulgurant, nous ne pouvons, en fait, que le concevoir. Le premier temps qui s'est infiltré, nous l'avons donc conçu, car justement nous ne l'avons pas trouvé. Le second temps, c'est celui qui naît de l'opération même qu'il nous faut accomplir, consciemment ou non, pour concevoir à la fois la fulgurance, acte pur de l'être explosant dans la vie sous la forme de l'impact d'un meurtre, et Sa virtualité, sa non existence dans la représentation, qui toujours échoit, et nous renvoie à l'échec. Echec des tentatives d'être dans l'acte pur, dans le pur présent, pleinement dans la vie, et contamination permanente de ce qui serait l'inverse de tout ça. qui viendrait toujours neutraliser les énergies, comme rappelant que ce qui se donnent dans les formes du vivant doit en rendre compte au non-vivant. Un second temps qui est la différentielle entre l'impact de la balle et celui du témoignage de l'impact (en live ou en images). Nous somme ici le cul entre deux chaises, pris au piège entre le temps fulgurant de l'être, et celui absolu du non-être. Entre la présence d'une certitude, et sa propre irréalité.

Pas étonnant que ce soit la mort choisie comme événement à représenter, bien qu'au fond (et peut-être surtout), même un pot de fleur peint est aussi bien une relation de neutralité, neutralisation venant de la différentielle entre ce qui se donne à voir comme un pot de fleur, et du lieu pictural pot de fleur» . Mais dans le cas du cycle JFK, le sujet, quoiqu'il ne soit peint que pour mieux disparaître, est entre autre choisi parce qu'il est déjà de l'ordre contradictoire de l'affirmation d'une disparition. La mort peut-elle s'affirmer au risque de se trahir, le mort peut-il se montrer et se voir au risque de trahir l'image et le regard?

Mais il ne s'agit pas seulement de peindre la mort, encore faut-il savoir comment la peindre pour que rien ne la ramène à la vie. Encore un travail de sélection, qui fera que tant faire se peut, rien ne détonne à la mort. Nous n'en sommes pas là encore, au risque de décevoir l'artiste, car Si seul de grands chefs d'oeuvres nous font un peu mourir, celui qui nous tuerait infiniment n'est pas encore peint, ça se saurait.

Revenons un instant, Si j'ose dire, au moment exact ou meurt JFK. Nous l'avons dit: un moment d'intensité extrême, acte que tout au plus nous pouvons concevoir mais certainement pas vivre (de toute évidence nous somme condamnés à vivre la mort violente en spectateur). Alors voilà, qu'une chose survient qui m'intéresse: l'ennui, rapide, juste après avoir vu ces tableaux. Le désintéressement total qu'ils provoquent en moi. La retombée de la curiosité, qui disparaît aussi rapidement qu'elle est venue. L'absence de toute émotion, après avoir compris que ça n arrivera pas, que rien n'arrivera plus, qu'en quelque sorte il est déjà trop tard, je veux dire que la peinture ne viendra pas, l'image déjà s'est emparée de l'espace prenant le dessus sur la peinture. Peste le caractère ennuyeux et mou(e) du vert. Le manque fondamental d'intérêt d'un événement aussi fascinant que le meurtre mystérieux d'un président victime d'une stratégie qui aura sa peau. Comme Si les images avaient annulées tout ça, la stratégie, la peau.

 

Fabrice Michel, février 2000.