Centre Wallonie - Bruxelles

 

 Evelyne Axell
(1935-1972)

L'Amazone du Pop Art

 

Evelyne Axell, Axell-ération, 1965

 

C'est par un jour du mois de septembre 1972, qu'Evelyne Axell trouva la mort sur sa route dans un accident de voiture. Elle était jeune, belle et talentueuse.
Ses oeuvres, profondément marquées par les thèmes privilégiés des années 60, étaient comme elle, aux couleurs exaltant le plaisir et la joie de vivre.

Elève de Magritte, dont elle a partagé l'ironie, Axell renonce, rapidement, à la peinture à l'huile. Elle se forge une technique très personnelle aux effets surprenants: l'émail sur plexiglas opalin, qu'elle découpe, superpose, jouant avec les reliefs et les transparences.

Elle est déjà à la pointe du Pop Art belge lorsque son pays sera secoué par les événements de mai 68.
Elle deviendra aussitôt l'interprète passionnée des chambardements du siècle. Elle n'aura que sept ans pour faire éclater, avec maestria, ses joies, ses provocations, son érotisme et son utopie.

Morte trop jeune à 37 ans sans avoir connu le succès qu'elle méritait, Evelyne Axell restera une comète dans le monde de l'art contemporain, une figure de proue du Pop Art en Belgique. Elle n'aura pas eu la chance de naître sur le bon continent pour recevoir la reconnaissance mondiale au même titre que les plus célèbres " pop-artistes "américains. Mais ses tableaux dévoilent la même envie de mettre en exergue cette société de consommation.
Dès 1975, José Pierre, dans le Dictionnaire de Poche du Pop Art, reconnaissait que seules les radieuses images d'Axell avaient illustré le mouvement Pop Art belge.

Le Centre Wallonie-Bruxelles à Paris lui rend hommage en présentant une cinquantaine de tableaux, célébrant des " érotomobiles ", des " homards amoureux ", le paradis de carton-pâte sur lequel règne un Tarzan qui s'époumone, mais surtout affichant ce qui restera comme l'image la plus récurrente de toute son oeuvre: la silhouette de la nudité féminine, principalement celle du peintre, femme engagée, amazone du Pop Art.
Aujourd'hui, les flamboyantes images d'Axell nous interpellent avec autant de force qu'elles le firent dans les années 60.

 

Evelyne Axell et les années 60

Evelyne Axell a été arrachée à la vie le 10 septembre 1972. Son temps de création s'est inscrit dans les annees soixante dont on s'aperçoit aujourd'hui qu'elles furent parmi les plus innovantes de la seconde moitié du XXème siècle.
L'oeuvre d'Axell, encore que très singulière, porte fortement la marque de cette époque, celle de la libération des moeurs, des corps, des carcans de pensées, des tabous de tout ordre.

L'oeuvre proprement picturale d'Axell s'étend sur sept ans, de 1965 à 1972. Ses sept années précédentes, de 1955 à 1962 avaient été dédiées à sa carrière de comédienne. Deux années de transition entre les deux phases, symétriques dans leur succession, de sa vocation. Années d'initiation aussi: le cinéaste Jean Antoine, qui tourne un film avec elle, lui fait rencontrer Magritte. Le premier deviendra son mari, le second son mentor pictural.

Quand Axell commence à s'affirmer en peinture, la jeunesse du monde entier vit à l'heure du pop. Ses sept années de travail correspondent à la grande période de globalisation culturelle des années soixante et à ses péripéties culminantes. Le life style urbain métropolitain d'un quartier de New York est devenu un modèle existentiel planétaire: le Pop Art est au centre d'une constellation socio-culturelle où il voisine avec la pop song, la pop music, les hamburgers, les jeans et le pop corn. Les leaders du nouveau réalisme européen consolident la seconde vague de leur affirmation. Niki de Saint-Phalle célèbre le féminisme triomphant avec ses nanas aux courbes généreuses, César passe des compressions d'automobiles aux expansions de polytiréthanne. Warhol reproduit à l'infini des portraits sérigraphiés de stars.
Dès l'abord, Axell peint en aplat et découpe des formes stylisées dans la toile qu'elle superpose sur des fonds apparentés à l'op'art.
De façon prémonitoire, le thème de l'automobile la préoccupe.

Puis l'effervescence de cette seconde moitié des années 60 proclame la renaissance de l'altérité et le droit à la différence: l'autre sous toutes ses minorités contestataires. Mai 68 est le symptôme avant-coureur du changement de société, du passage du monde industriel au monde post-industriel.
C'est dans ce tourbillon dynamique que s'est développée l'oeuvre d'Axell et sa force expansive n' aura connu aucun relâchement.

 

Evelyne Axell, La Mouche, 1967

Pour témoigner d'une pleine adhésion à la dynamique de son temps, elle abandonne tout naturellement la peinture à l'huile pour explorer la gamme des résines plastiques, et notamment le clartex -un matériau qui n'existera que pendant un an et qu'elle exploitera, entre autre, pour La grande sortie dans l'espace,- le plexiglas, le polymétacrylate de méthyle, qu'elle utilisera volontiers dans sa coloration opaline. Tous ces plastiques synthétiques sont en voie d'expérimentation ou d'affinement à cette époque, et il lui arrivera de devoir abandonner un materiau du fait de la cessation de sa commercialisation.
Axell a su jouer avec les possibilités de translucidité ou la transparence des résines plastiques en les coloriant à l'émail. Le support de l'image peinte contribue ainsi à sa modernité et l'on peut voir sur les sept années de production d'Axell la marque du développement parallèle de la technologie du plastique pendant la même époque. Le plexiglas opalin sur lequel se fixera finalement son choix apporte une solution heureuse aux problèmes d'expressivité de son langage.

C'est à travers le corps de la femme, et avant tout le sien, qu'Axell nous communique le frisson de vie qui anime son entière trajectoire picturale. Dès 1966, le style affirme son
originalité. Aucune hésitation, aucun repentir: l'artiste impose d'emblée sa définition de l'image, et en pleine phase expansive de la société de consommation. Elle entend bien nous montrer que le corps de la femme n'est pas un objet de consommation.

 

Evelyne Axell, Le Peintre (autoportrait), 1970

Ce parti pris d'extroversion érotique s'affirme tout au long de son oeuvre. Qu'elle soit odalisque, persane, tchèque ou petite féline rose, la femme d'Axell affirme dans la souple immanence de sa présence, son droit à porter témoignage de l'organique pérennité du désir.
La femme Axell, belle et sensuelle, s'élance dans une ronde dansée matisséenne.

Sensible aux événements de 68, Axell réalise un triptyque qui met en scène un groupe de jeunes gens nus, dominé en arrière plan par la silhouette d'une jeune femme brandissant le drapeau rouge. De 1970 datent encore deux témoignages majeurs de son engagement idéologique: L'Assemblee libre où son vieil ami Dypréau figure en plan central et la Participation. On y retrouve la même mutation politique du désir de masse:
l'érotisme à l'état brut libère une énergie contestataire, le moteur de la communication avec l'autre.

Evelyne Axell, La Cible, 1970

Puis, elle sera le peintre de la femme idyllique, épanouie dans une nature luxuriante, quelque peu exotique - elle aimait le Mexique et le Guatemala - attendant le Tarzan qui l'emportera au septième ciel, une sorte d'oasis, un paradis terrestre. Les animaux y sont colorés - bleu pour l'éléphant, orange pour le singe, de toutes les couleurs pour les oiseaux du paradis.

En sept ans de peinture, Axell a vécu la modernité globale de son époque avec une exceptionnelle intensité, elle en a épousé charnellement la dynamique évolutive.
Evelyne Axell a vécu son art comme un destin, fulgurant, exigeant, absolu. Elle nous en laisse le frisson d'une vie qu'elle a enfourchée telle une amazone.