[Art Communication & Technologie]

 

 

 

 

UNE POETIQUE DU REEL ET DU SIMULACRE

 

La reactualisation du concept platonitien du simulacre par Jean Baudrillard a déclanché une polémique dans les milieux intellectuels, paniques à l'idée que la réplique de la réalité puisse un jour proche se faire passer ontologiquement pour le réel propre. Cette polémique s'amplifia récemment lorsque les images infographiques commencèrent à occuper graduellement la place des images de la réalité enregistrées par une camera. La crainte fut que, l'on puisse assister rapidement à des manifestations comme des pièces de théatre , où les acteurs en chair et os ,donneraient la réplique à des clônes holographiques générés par des ordinateurs, de manière à ce qu'il soit impossible de discerner sur scène le réel du simulé .

Ce discours éminemment actuel sur les chemins possibles du réel et du simulacre dans un monde dominé par la technologie, constitue le contour de la plus récente installation de Jean-Pierre Giovanelli, identifiée de manière très adéquate par la paranomasie ambigüe Stable Mouvant . Pour rendre compte de manière exacte et concise, toute la complexité du thème, Giovanelli le met en scène dans sa forme la plus réduite et essentielle : Des papiers de soie, les uns réels les autres simulés dans l'ordinateur, sont présentés respectivement sortant d'une boite (aspirés par une tornade ) et projetés sur un écran. Cependant, pour marquée que soit la ressemblance entre les papiers de soie réels et les papiers simulés, pour ambigü que soit le statut des matériaux utilisés dans l'installation, l'approche de l'artiste ne favorise aucune confusion entre les objets réels et les virtuels. C'est le point subtil, mais fondamental, qui rend l'installation de Jean-Pierre Giovanelli radicalement différente des expériences de laboratoire avec "réalité virtuelle" ou des spectacles illusionistes qui abondent dans les mégaparcs de loisirs du type Disneyworld. Le travail de Giovanelli ne vise aucun effet illusioniste, ne veut absolument pas tromper le visiteur, en le laissant supposer que le simulacre est réel ou vice-versa. Bien que les questions de l'ambigüité et de l' inversion entre le réel et le virtuel soient présentes, puisque ce sont elles qui sont mises en question, l'installation met en évidence la dichotomie entre les deux états de la réalité. Les papiers réels sont figés en l'air, tandis que les virtuels évoluent librement dans la profondeur fictive de l'écran. Le son produit du côté réel de l'installation est celui d'une invraisemblable tornade , tandis que du côté virtuel la rumeur de papiers de soie froissés. Tout l'effort de l'installation consiste à distinguer et non à confondre les catégories. Ce dispositif monté par Giovanelli présente encore une autre subtilité : pour éviter la confusion et le leure illusioniste, les cadres réel et virtuel sont différenciés, mais leur fonctionnement est inversé. En fait , il serait plus logique (et même techniquement plus simple) que les papiers simulés dans l'ordinateur fussent arrêtés et pas les papiers réels. Il serait aussi plus logique que ces derniers fussent capables de produire des bruits de papier réels et non les simulacres. Les cadres sont par conséquent, distincts mais ambigüs pour inciter le visiteur à la reflexion sur la possibilité d'inversion des catégories du "réel" et du "virtuel".Dans l'installation de Giovanelli , l'absence d'une quelconque interprétation simpliste sur le thème du croisement du réel avec sa simulation est manifeste et le dispositif monté ne permet aucune intention catastrophiste, à la manière de Baudrillard, ni une approche enthousiasmante, à la manière des ingénieurs du MIT. Giovanelli nous propose l'expérience d'un monde qui devient plus complexe (et aussi, contradictoirement, plus fascinant et dangereux), à mesure que ce qui le constitue se multiplie à une énième puissance, grâce à ses répliques digitales. Mais il n'y a aucune raison de paniquer ! A la limite, si quelque visiteur est troublé dans dispositif de Giovanelli , si les catégories du réel et du virtuel commencent à s'enchevêtrer, il suffit alors de couper le courant électrique : les papiers qui resteront seront les réels et ceux qui s'évaporeront seront les simulés. Pour grands que soient les progres toujours surprenants de la technologie, le réel sera, heureusement, toujours infiniment plus complexe, contradictoire, imprévisible et inépuisable que sa simulation dans l'ordinateur.

Arlindo Machado

Professeur à l'université de Sao Paolo, Comissaire et organisateur de nombreuses expositions artistiques, parmi lesquelles Arte Y technologia 1985, deux espositions de Cinévidéo 1982,1983,des expositions sur les arts électroniques au Brésil telles que Getxoko III Bilbao ; Arco'91 Madrid , Arts of América Albuquerque et Brazilian Video Washington.Il est l'auteur de nombreux ecrits analytiques tels Maquina e imaginario; o desafio das poeticas technologicas et Videocadernos .

 

JEAN-PIERRE GIOVANELLI
101233.2610@compuserve.com


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